"Je ne vous laisserais pas ici," fut la seule réponse qui franchit le seuil de mes lèvres lorsque Avaline Clives me demanda ce que je faisais ici. Je refusais d'abandonner mon amie à son triste sort, sa place était en sécurité à l'intérieur, non point en proie aux flammes et à la folie meurtrière de Dieu savait qui, là, dehors ! La question de savoir qui était à l'origine de tout ceci me lancinait, mais je la reléguais aux tréfonds de mon esprit, sachant fort bien qu'elle ne tarderait pas à revenir me tarauder. Les protestants ? J'espérais que non. La réaction de la Reine ne tarderait guère, et serait des plus dures. Savoir que dehors, celles et ceux qui observaient le culte dans lequel j'avais moi-même grandi étaient en proie au fanatisme papiste de Mary d'Espagne me nouait le ventre. Or de nouvelles exactions étaient à prévoir, c'était certain. La priorité cependant n'était pas d'anticiper ce qui allait arriver à la communauté protestante du pays, mais de rejoindre au plus vite les quatre murs de Whitehall Palace. Il était étrange pour moi de penser que ces lieux si souvent synonymes de prison étaient pour l'heure un sanctuaire. L'exclamation de William Cavendish à mon endroit ne me parvint que de loin. "Je vais bien, my Lord," m'exclamais-je à bout de souffle. "Ne vous en faites pas pour moi !" Dans le tohu-bohu général, je n'eus même pas le temps de demander si les Cavendish avaient pu retrouver leur fille aînée.

J'avais beau user de toutes mes forces pour soutenir Avaline et l'aider à avancer, la foule hurlante et l'extrême agitation ne me venaient pas en aide. Jamais le trajet vers les portes du palais ne m'avait paru aussi long. D'autant que mon amie s'affaiblissait de minute en minute : si cela continue, nous n'atteindrons même pas l'intérieur ! Un pas. Puis un deuxième. Courage, Avaline, nous y sommes presque. La pauvre devait terriblement souffrir, blessée comme elle l'était. Et tout ce monde qui courait partout en hurlant dans le pire des désordres n'aidaient en rien. Une fois à l'intérieur, j'irais sommer ma mère de mander un médecin pour la jeune femme. Et peu m'importaient sa profession, ou la réaction maternelle. Au moins, je veillerais à ce qu'elle regagne sa chambre en bonne santé. Mais avant cela, il fallait avancer, et je n'avais pas prévu que ce soit aussi difficile. Je ne saurais dire combien de minutes furent nécessaires pour gagner enfin l'intérieur de Whitehall, j'avais perdu toute notion du temps, et en vérité, je m'en moquais bien. Un pas. Puis un deuxième. Un troisième. C'est bientôt bon, nous y sommes presque.

Un pas, puis deux, puis trois. Et enfin... Je n'avais pas reçu la moindre égratignure, mais mes bras étaient douloureux. Du haut de mes quatorze ans, sans doute n'avais-je pas la force de soutenir une femme de vingt-cinq qui perdait progressivement conscience. "Nous y sommes," soufflais-je, alors que le corps inconscient de mon amie s'échappait de mes bras et s'écroulait sur le sol. Presque à bout de forces moi aussi, je m'assis près d'elle, à même les dalles marbrées. "Mary !" appelais-je, "va chercher Mère, dit lui de mander un médecin de toute urgence, une femme est blessée." Mon souffle était court, ma respiration sifflante. Autour de nous, la cohue n'était pas aussi agitée qu'à l'extérieur, mais une atmosphère de terreur et d'effroi s'était répandue parmi tous les sujets ici présents. Déjà, l'omniprésence de la foule me faisait tourner la tête, moi qui avais toujours tenu en horreur le trop-plein de monde. Il fallait que je sorte d'ici au plus vite, et que je sorte Avaline d'ici en même temps. La pauvre ne reprendra jamais ses esprits avec tous ces gens autour ! Je levais les yeux, cherchais la silhouette familière et fort appréciée de Joane. La voyant, je lui adressais de grands signes de la main pour qu'elle approche. "J'ai besoin de votre aide, Joane," fis-je lorsqu'elle fut à ma portée. "Ma soeur est partie chercher un médecin, mais il nous faut nous isoler, pourriez-vous m'aider à amener Avaline jusqu'à ma chambre ?" Restait à espérer que le médecin ne tarde guère, et que la jeune femme rousse reprenne vite possession d'elle-même. Entre les événements de la joute et ceux-ci, je commençais à croire que la grossesse de Mary Ière était loin d'être placée sous les meilleurs auspices....