né de l'océan
I'll never be your chosen one.
'C'est nul, la comptabilité,' grommela le garçon, le nez penché sur ses livres. Derrière lui, il sentit aussitôt une main s'abattre en claquant sur sa nuque. Inutile de se retourner, il savait pertinemment d'où venait le coup :
'travaille au lieu de râler,' tonna son père. Edmund Drake était un homme au naturel peu amène, et avec son revêche fils aîné, il déployait des trésors de sévérité et d'intransigeance... En vain. Plus obstiné encore que son paternel, le jeune Francis avait décrété que bon nombre des disciplines prônées par Edmund ne l'intéressaient pas, aussi se refusait-il à en apprendre la moindre ligne. Depuis deux heures qu'il était assis à table, il n'avait fait que regarder son livre sans le voir, l'esprit perdu dans le vague, complètement oublieux des leçons au programme de la journée. De quoi rendre son père fou de rage. Un coup d'oeil du père Drake aux travaux de son fils - caractérisés par une page blanche - et une deuxième claque brûla la nuque du jeune garçon.
'Ça fait mal,' pesta le petit.
'Travaille,' répliqua son père. Il leva les yeux au ciel, provoquant les ricanements de ses frères et soeurs plus jeunes, attablés comme lui. Un regard noir de leur père suffit à les faire taire - mais les regards restaient facétieux et pétillants. Francis sourit, à demi caché par ses livres. Alors que l'aînée de ses soeurs, Mary, cinq ans, récitait son alphabet sur le bout des doigts, il songeait que le souci de son père à assurer la continuité des affaires de leurs terres le poussait à agir différemment de bien d'autres hommes du même monde.
Francis n'avait jamais été seul de sa vie, y compris lors des longues heures de leçons. Du haut de ses sept ans, si il était le premier né de la fratrie, il n'était certainement pas le dernier : trois mois plus tôt, sa mère Mary Mylwaye avait mit au monde son septième enfant, sa troisième fille. Après l'aîné Francis venait Edmund, puis Mary, ceux dont il était le plus proche, ceux avec qui il passait l'essentiel de son temps. Les autres restaient davantage entre eux, bien que la différence d'âge ne soit pas énorme. Ensemble, ils avaient commencé leur instruction bien avant la coutume, et la gent féminine était tout sauf laissée pour compte.
'C'est par l'instruction que vous vous taillerez une place dans le monde, mes enfants,' répétait à l'envi le père Drake. Sauf que les cadets de Francis, eux, avaient la chance d'avoir le choix de leur avenir. Tous fermiers qu'ils soient, les Drake étaient fortunés : propriétaires terriens, ils relevaient plus des bourgeois de campagnes que des malheureux crève-la-faim qui trimaient leurs vies durant. Que le petit Edmund décide de se lancer en politique, en médecine ou en théologie, les finances suivraient. Dans le cas de Francis, cependant, l'avenir serait plus restreint. Fils aîné, c'était à lui d'hériter des biens acquis par son père et son grand-père. Un héritage dont il se serait bien passé, si son père n'avait pas décidé que ce serait lui et pas un autre. Même physiquement, il tenait plus d'un garçon de ville que d'un fils de fermier : si il était de taille moyenne, son extrême minceur le faisait paraître plus grand qu'il ne l'était en réalité. Il tenait plus de la famille maternelle, avec ses cheveux bruns toujours en bataille, ses yeux verts d'eau et son agilité à toute épreuve. Les autres de sa fratrie étaient plus Drake que Mylwaye, contrairement à lui : les épaisses boucles blond-roux, la petite taille, les muscles développés et es épaules carrées, la mâchoire forte et les prunelles sombres. En somme, rien ne laissait penser au jeune Francis qu'il serait à sa place en gestionnaire des biens paternels. Rien, sauf la volonté d'Edmund Drake senior, qui semblait bien décidé à imposer ses vues à son fils aîné.
'J'ai terminé,' s'exclama le garçon une heure et demie plus tard. Son père leva aussitôt le nez de ses papiers et lui fit signe de s'approcher. Il obtempéra en tirant discrètement la langue à sa soeur Mary qui faisait mine d'applaudir. Le père Drake parcourut les lignes écrites par son fils avec attention, avant de déclarer avec un demi sourire :
'tu vois, quand tu veux !' Soulagé, Francis eut un large sourire :
'je peux y aller, alors ?' Toute expression un minimum joyeuse déserta les traits paternels.
'Certainement pas. D'abord, tu vas répondre à la lettre que ton parrain t'a envoyée il y a déjà plusieurs semaines. Ensuite, tu traduiras un chapitre de La Poétique d'Aristote, tu n'as pas fait de latin depuis trois jours. Et après, seulement, tu pourras vaquer à tes occupations.' Le jeune garçon eut une brusque envie de pleurer. Un instant, il songea à supplier son parrain, Francis Russell, le comte de Bedford, de qui il tenait son prénom, de prendre en charge son éducation. Mais cela serait sans doute pire : il aurait autant de travail et serait séparé de son frère et sa soeur. La mort dans l'âme, il regagna sa place avec un sourire contrit pour Edmund Jr et Mary. Passer l'après-midi à étudier n'était vraiment pas sa tasse de thé. Dans l'absolu, il était un garçon vif, trop vif peut-être, trop agité aussi. Incapable de rester en place. Il aimait apprendre, à condition qu'il estime que l'enseignement dispensé était intéressant... Ce qui n'était pas acquis d'avance. Le garçon appréciait les langues vivantes, la géographie, les mathématiques et l’arithmétique. Les exercices physiques étaient sa spécialité. Tout ce qui avait trait au droit, à la comptabilité, ou qui était lié d'une manière ou d'une autre à la gestion des domaines familiaux, l'agaçait au plus haut point. D'autant qu'en ce jour de printemps, le soleil brillait haut et la température était douce : le temps idéal pour partir à cheval jusqu'au bord de la mer et observer les vagues. C'était peut-être le seul paysage qui apaisait Francis, depuis toujours le garçon pouvait rester des heures à regarder les vagues agitées par le vent qui mordaient l'horizon, rêvant de ce qui pouvait se trouver au-delà. Un intérêt que le père Drake avait cherché à réprimer, sans succès. A peine avait-il appris à lire que le garçon avait dévoré tous les ouvrages traitant de voyages et de navigation. Et plus il grandissait, plus ses pensées s'éloignaient des terres pour se porter vers les mers. En silence, il rédigea sa lettre, s'efforçant de limiter les tâches d'encre sur le papier. Mes ses pensées quittaient vite ses tâches pour se diriger vers les mers et les océans. Comme toujours, son père ne le lui reprochait que trop.
'Déconcentré, rêveur, irréaliste,' pestait l'homme. Ce qui ne faisait que renforcer le côté revêche du jeune garçon, rétif à l'idée que son père cherche à le faire rentrer dans son moule. Et alors qu'il travaillait à ses traductions, alors que le soleil déclinait lentement sur les collines verdoyantes du Devonshire, il se demanda si un jour, son père consentirait enfin à le laisser voler de ses propres ailes.
You’ll be a man, boy, but for now it’s time to run.
Francis sentait le coeur de Mary battre à une vitesse phénoménale contre ses côtes. Tous deux partageaient la même monture, un des chevaux solides et gris récupérés à la ferme, et la fillette de sept ans avait passé ses bras autour de la taille de son frère aîné, le serrant si fort qu'il en avait mal aux côtes, mais n'en avait cure.
'Est-ce qu'on va mourir, Francis ?' La nuit était tombée plusieurs heures plus tôt, et les seules lumières venaient à la fois de la lune et des torches que tenaient les parents Drake.
'Bien sûr que non, Mary, tu verras tout va bien se passer.' Croyait-il sincèrement à ce qu'il disait ? Ou essayait-il de se convaincre lui-même ? Il ne le savait pas, et surtout ne voulait pas le savoir. L'essentiel était de rassurer la pauvre Mary, qui sanglotait comme une perdue depuis leur départ de Tavistock. La petite ville insignifiante ne manquerait pas à Francis, pas plus que le Devonshire sans doute : la perspective de quitter cet endroit lui donnait une sensation d'aventure qui le galvanisait si bien qu'il oubliait ses craintes, entier consacré à sa tâche. A savoir guider le cheval sur les mêmes pas que ceux de son père et son frère, sur une autre monture, et faire en sorte que les peurs de Mary prennent fin. Le Kent, c'était cela que le père Drake avait annoncé à sa femme et ses enfants : ils quittaient leur Devonshire natal, et pour que Edmund Drake fasse déménager femme et enfants, perdant sa chère ferme et toutes les terres de son patrimoine, l'heure devait être des plus graves. Ni leur père ni leur mère n'avaient voulu donner trop d'explications à leurs enfants, pour ne pas les effrayer sans doute, mais à force d'écouter aux portes, Francis avait compris la trame globale de ce pourquoi ils quittaient si précipitamment leur région. D'une manière générale, les comtés de l'ouest anglais, tels que le Devonshire ou le Cornwall, n'avaient été que peu réceptifs à la diffusion du protestantisme, et s'étaient convertis plus de force que de gré à l'anglicanisme d'Henry VIII. Ce dernier mort deux ans plus tôt, c'était son jeune fils Edward, alors âgé de neuf ans, qui avait pris la relève, appuyé par ses oncles Seymour. Plus protestant que ne l'était son père, il s'était donné pour mission de donner à la religion d'Henry VIII un aspect plus en accord avec les idées de Luther et Calvin. En soi, cela n'avait pas été un problème pour les Drake : protestants jusqu'à la moelle, c'était plutôt contre les tentations catholiques du vieux roi Henry qu'ils s'étaient insurgés. Pour Francis comme pour les siens, les nouveautés apportées par Edward étaient de bon augure.
Mais tout le monde en Devonshire n'était pas du même avis.
Ces régions plutôt dévouées au catholicisme de Rome s'étaient soulevées comme d'un seul homme ou presque lorsque, au début de cet an de grâce 1549, l'archevêque de Canterbury Thomas Cranmer avait diffusé le nouveau livre de prières de l'anglicanisme, le
Livre de la Prière Commune. Cet ouvrage, fondamental pour le pays et sa religion désormais unique, décrivait précisément les prières, formules et pratiques du culte anglican, en un parfait compromis entre réformateurs et partisans à la vision plus orthodoxe de la chrétienté. Voilà ce que Francis avait compris : son père et sa mère avaient été ravis de l'ensemble du livre, et ils avaient aussitôt eu à l'étudier en profondeur, comme si ils espéraient tous deux voir leurs enfants, même jeunes, en comprendre chaque mot. C'était le temps qui leur avait manqué. Ulcérée, la population du Devon, du Cornwall et de plusieurs villes alentour s'était soulevée avec force et colère, engendrant des persécutions religieuses qui faisaient craindre le pire aux parents Drake. Et alors que couraient les rumeurs d'une future intervention du duc de Somerset sur ordre d'Edward VI, la montée des violences avait jeté sur les routes toute la famille du jeune Francis. C'était dans un indescriptible désordre que les enfants avaient été tirés du sommeil, habillés à la va-vite, et dans cette agitation extrême que Francis avait retenu un mot : Kent. Ce serait donc le sud-est en lieu et place du sud-ouest.
'Tu verras, Mary,' reprit-il,
'ça va être bien, le Kent, je suis sûr que c'est très joli.' Il n'aurait su dire pourquoi il avait parlé ainsi : ils fuyaient leur maison, qui se souciait de savoir si le paysage de leur future région serait joli ?
'Et on sera en sécurité, là-bas ?' La voix de Mary n'était qu'un murmure brisé. Francis eut un pincement au coeur : il connaissait sa soeur joyeuse, en colère, boudeuse, mais rarement triste.
'Bien sûr, personne ne s'en prendra plus à nous.' Car jamais leur père n'irait leur faire quitter une région pour les faire vivre dans un lieu plus hostile encore.
'Tu en es sûr ?'La question surprit le garçon. Non, en réalité, il n'était sûr de rien. Il n'était même pas sûr que sa soeur se plairait dans le Kent, il ignorait complètement si ils y seraient tout à fait en sûreté. Il ne faisait qu'espérer. Il n'avait pas peur, cependant, trop excité à l'idée qu'aujourd'hui, son destin était en train de changer. En bien ou en mal, là était la question, mais il préférait mettre de côté l'hypothèse que les choses seraient pires là-bas. Ce déménagement, c'était la chance de sa vie. A présent qu'il n'avait plus rien à transmettre, Edmund Drake serait-il plus ouvert à l'idée que son fils se penche sur les mers davantage que sur les terres ?
'Tu n'es sûr de rien, en fait,' trancha Mary, comme si elle avait lu dans ses pensées. Un peu gêné, le garçon eut un sourire qu'elle ne put voir :
'personne ne s'en prendra à toi, Mary, je te protégerais. C'est promis : personne ne te fera du mal.' La fillette se serra un peu plus fort contre son aîné. Autour d'eux, le paysage défilait mais ils le distinguaient à peine, avec l'obscurité, et préféraient se concentrer sur la route à suivre.
'Tu mens, Francis. Tu mens mais tu ne le sais même pas. Alors je ne peux pas t'en vouloir. Tu ne seras pas toujours là pour me protéger, si tu ne le sais pas, moi je le sais. Ta place n'est pas auprès de moi. Edmund me protégera, lui, mais pas toi' - abasourdi par les paroles de sa cadette, Francis jeta un coup d'oeil presque insconscient à la silhouette de son frère, endormi, le visage contre le dos de leur père.
'Toi, tu seras loin. Loin de moi, et de l'Angleterre. Tu seras en mer, à voyager et à découvrir. J'espère que tu penseras parfois à moi, ta petite soeur qui prie pour toi. J'espère aussi que tu trouveras ce que tu cherches. Mais je sais que oui. Retiens cela, grand frère : ta vie n'est pas sur terre mais sur mer, crois-moi je te connais, peut-être mieux que tu te connais toi-même. Alors vie ta vie, et ne laisse personne la vivre pour toi. Et surtout pas notre père. Pars, voyage, navigue. C'est comme ça que tu vivras.'Welcome to your life, there's no turning back...
'Déjà debout, gamin ?' Francis pivota avec un large sourire.
'Et plutôt deux fois qu'une, monsieur.' Dans l'embrasure de la porte se tenait Thomas Hawkes, un homme jugé vieux pour le temps - soixante ans bien sonnés - mais encore doté de toute sa vigueur et de son énergie. Le londonien propriétaire d'une petite maison proche de celle des Drake dans le Kent avait accepté de prendre Francis sous son aile, lui qui maniait une barque de commerce entre la France et l'Angleterre. Depuis, ni le jeune garçon ni l'homme n'avaient regretté quoi que ce soit : Francis avait pour son maître la plus grande admiration, et pour la première fois de sa vie, il apprenait quelque chose qui lui tenait véritablement à coeur. Quant à Hawkes, il avait de la sympathie pour son volontaire apprenti, et s'était si bien attaché à lui qu'il s'apprêtait à lui léguer ses biens, étant donné qu'il n'avait pas d'enfants.
'Alors si tu es prêt, nous pouvons y aller.' Le moins que l'on puisse dire, c'est que Francis ne se fit pas prier. Il bondit aussitôt hors de la mansarde propre qui lui servait de chambre et dégringola l'escalier abrupt, avant d'ouvrir à la volée la porte du petite appartement que lui et Hawkes occupaient, au dessus d'une boutique de pêcheurs, face au port de Londres. A voir son visage surexcité, il était difficile de croire que le gamin n'avait dormi que quelques heures, lui qui avait passé la moitié de la nuit à déambuler dans la capitale avec Richard Ballantrae, chasseur de primes de son état, que le jeune garçon avait rencontré alors qu'il s'était perdu sur le port, lors de son premier séjour dans la capitale. Depuis, il aimait visiter Londres en sa compagnie : le chasseur lui indiquait tous les endroits intéressants et lui avait appris au moins autant de choses que le vieux Hawkes. Comment déboîter une épaule, briser un tibia, casser une nuque ou retourner un coude. Une barbarie qui ne gênait pas outre mesure le garçon, qui sentait bien que tôt ou tard, l'auto-défense lui serait des plus utiles. Avec Hawkes, il approchait cependant son véritable rêve : la navigation. Le commerçant lui avait appris tout ce qu'il savait, et lui apprenait encore. La Manche n'avait plus beaucoup de secrets pour eux, à force de la traverser en direction de Calais pour mieux revenir à Londres. Ce mode de vie ne durait que depuis six mois, mais immédiatement Francis s'y était trouvé à l'aise. Enfin, loin de la ferme et des ambitions bien trop terre à terre de son père, il se sentait vivre.
L'heure était si matinale que le soleil ne s'était pas encore levé ; à peine si la lumière avait commencé à envahir le ciel resté sombre. Les passants étaient pour ainsi dire inexistants. Alors que Francis emboîtait le pas de Hawkes et le suivait dans le dédale de ruelles, il se demanda vaguement comment allaient ses frères et soeurs, là-bas, dans le Kent. Deux ans plus tôt, Mary Mylwaye avait mis au monde son douzième enfant, une fillette prénommée Jane. La dernière-née, définitivement : l'accouchement avait été douloureux, et tout le temps qu'il dura, chacun avait craint que la mère n'y laisse la vie. Mary était restée à son chevet, avec trois de ses cadettes. Les plus jeunes étaient restés dans leur chambre. Francis et Edmund avaient attendu avec leur père, en proie à une sourde angoisse, dans l'antichambre. En quinze ans de mariage, Mrs Drake avait accompli à la perfection ses devoirs d'épouse, en donnant à son mari six fils et six filles. Et si cette joyeuse compagnie manquait de temps à autres à Francis, ce n'était absolument pas le cas du Kent, encore moins du Devonshire. En arrivant à Upnor, leur père avait perdu tout ce qui faisait sa richesse, mais il n'était pas homme à s'avouer facilement vaincu. Immédiatement, il s'était porté volontaire pour obtenir un poste de ministre du culte anglican dans la Royal Navy, ce qui avait réjoui son aîné. La même année, il avait été ordonné diacre. Finalement, les heures sombres de la famille n'avaient que peu duré. Même à présent que Mary Tudor œuvrait pour le retour en force du catholicisme, Edmund Drake senior avait réussi à conserver son poste, en prêtant immédiatement allégeance à la nouvelle reine. Le fait qu'il organisait en secret des cérémonies protestantes n'était connu que de son cercle, protestant lui aussi. Par chance, ils avaient fait la connaissance de Hawkes peu après leur arrivée dans le sud-est. Convaincre Edmund Drake de laisser son fils partir sous la protection du marin avait été long, mais étant donné qu'il avait perdu tout ce qu'il devait léguer à son fils, il finit par accepter. Et c'est ainsi qu'au début de l'année 1554, le garçon avait embrassé sa mère, ses soeurs, salué son père et ses frères, et était parti sans un regard en arrière, trop heureux de faire enfin ce qu'il voulait depuis toujours. Depuis, il ne s'était jamais plaint de rien, et n'estimait pas avoir la moindre raison de se plaindre. Voir Hawkes rouler certains français trop naïfs dans la farine le faisait pleurer de rire, apprendre les ficelles du métier lui plaisait plus que tout. Sur mer, il se sentait à l'aise, plus que sur la terre ferme en réalité. Par à-coups, il repensait aux paroles de Mary, ce soir où ils avaient quitté Tavistock en catastrophe. Elle avait raison, de bout en bout. Elle l'avait cerné mieux que les autres membres de leur nombreuse famille. Elle avait su depuis le début. Au fond, elle était peut-être la seule membre de sa fratrie qui lui manquait véritablement.
Quand il prenait la peine d'y penser.
'Alors, on part en France, aujourd'hui ?' Il avait dit cela sur le ton de la plaisanterie et Hawkes eut un ricanement sonore :
'ben tiens, je t'accompagne devant Whitehall et tu demandes à l'espagnol ce qu'il en pense ? Tu verras, il va adorer. On lui ramènera en prime un portrait du roi Henri, il le suspendra dans sa chambre à coucher.' Ce fut, cette fois, le rire de Francis qui se répercuta contre les murs, réveillant sans doute au passage certains dormeurs au sommeil léger.
'Vous tenez vraiment à lui donner des cauchemars ?' Hawkes sourit avec acidité :
'assez pour qu'il déguerpisse au plus vite, avec si possible sa charmante épouse et leur rejeton. Dieu les bénisse !' Les trois derniers mots avaient été prononcés avec une ironie telle que Francis jeta un coup d'oeil à gauche, puis à droite, s'assurant que personne n'était à la fenêtre. Hawkes haussa les épaules.
'Gamin, les trois quarts des gens dorment à cette heure, et ceux qui sont réveillés pensent la même chose que moi. Tu connais beaucoup de marins anglais satisfaits de la nouvelle alliance ?' Non. En fait, il ne connaissait personne, marin ou non, qui se réjouisse du mariage espagnol. Mais l'entourage de Francis se composait essentiellement de protestants et de marins, voire les deux, comme c'était le cas pour Hawkes, même si il n'en disait rien. Leur avis sur la question était sans doute un peu biaisé - mais quel avis ne l'était pas ? Hawkes changea de sujet en étalant à Francis le programme du jour : entretien de la barque, vente des produits, signatures de contrats entre Hawkes et certains commerçants de Londres qui avaient besoin de produits français. Rachat de nouveaux produits, qu'ils iraient vendre en France à la première occasion, des lainages principalement. En somme, du commerce, du commerce et encore du commerce : ce n'était pas forcément ce que le jeune garçon préférait, mais il aurait au moins la possibilité d'arpenter les étalages des marchands du Nouveau Monde, d'apprendre un peu plus l'art des négociations commerciales, et de toute façon il s'ennuierait moins que si il était resté dans le Kent. Ou pire, dans le Devon. Avec un peu de chance, il croiserait la route de Lady Grey, la douce jeune fille de son âge dont il appréciait beaucoup la compagnie ?
'Tu sais que tu commences à faire parler de toi, par ici ?' Surpris, Francis leva les yeux. Ils avaient passés les deux heures suivant leur arrivée au port dans piper mot, chacun absorbé par sa tâche. Le jeune homme s’occupait des noeuds de cordes, alors que Hawkes nettoyait les mâts et la voile. La barque, comme ils disaient, était en fait un petit bateau assez solide pour fendre les voiles, assez petit pour être facilement dirigeable et terriblement rapide. Bien plus que ces galions espagnols suréquipés. Lorsque Francis avait émis l'idée qu'en armant plusieurs bateaux comme celui-ci, on obtiendrait une force navale finalement supérieure aux géants maritimes développés par l'empire de Charles Quint, Hawkes lui avait ri au nez. Mais le gamin n'en démordait pas.
'Comment ça ?' Curieux, intrigué, mais surtout inquiet : Francis espérait que sa tendance à faire les quatre-cent coups dès que son maître avait le dos tourné n'avait pas atteint les oreilles de celui-ci...
'On dit de toi que tu es obstiné, travailleur et doué pour ce que tu fais. On dit aussi que si je n'étais pas là à te surveiller, tu filerais vite du mauvais coton. Tu es un gamin intelligent, Francis, ne gâche pas tout ton potentiel en faisant n'importe quoi. Pigé ?' Le garçon ne savait trop que dire, mais il n'avait rien d'un grand manipulateur, et se contenta d'être franc et de hausser les épaules :
'je n'en ai pas l'intention.' De fait, il avait bien compris que si il voulait vivre ce grand avenir qu'il s'était promis, il lui faudrait travailler encore et encore, être l'architecte de sa vie, le forgeron de son existence. Ce serait au prix d'un travail acharné qu'il arriverait enfin à faire ce qu'il voulait de ses jours. Le vieux Hawkes renifla, et c'est en réfléchissant aux paroles de son protecteur que Francis reporta à nouveau son attention sur les cordes du navire. Savoir que l'on commencer à parler de lui sur les ports de Londres lui plaisait au-delà du raisonnable ; il ne cherchait pas forcément à attirer les compliments mais voyait là une preuve du fait que le chemin qu'il avait commencé à emprunter était le bon. Le garçon se confortait dans ses projets : faire le tour du monde, commercer avec le Nouveau Monde, prendre la place des grands navigateurs espagnols, être de ceux qui feraient de l'Angleterre la première puissance maritime du monde. Il détestait et méprisait les espagnols pour cela aussi : qu'ils profitent de leur toute-puissance, elle ne durerait pas. Il y veillerait. L'Angleterre méritait plus que ce qu'elle avait déjà.
'Tu iras loin, gamin, tu le sais ça ?' Francis sourit.
Oui, il le savait.
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Jeu 16 Juil - 16:05
Francis Drake
) !!
excellent choix de vava d'ailleurs 
bon couraage pour la rédac de ta fiche 
si tu as des questions n'hésites pas 
.
Richi et Katty te font la fête ! 
Si tu as la moindre question, surtout n'hésites pas, je suis là 
