La nuit était belle, le ciel sombre était piqueté d'étoiles. La lune brillait haut. Alasdair se trouvait au bord de la Tamise, près d'une torche qui le réchauffait à peine, mais le froid mordant ne le préoccupait pas, il en avait l'habitude, il était Écossais après tout. Et son tartan, fait entièrement de laine, lui tenait assez chaud pour supporter de rester immobile.
Son regard fut attiré par une jeune femme qui arrivait, une jeune femme qu'il connaissait fort bien à vrai dire, étant donné qu'elle était une vieille amie.
Sans aucune gêne, il l'observa arriver sur les rives de la Tamise. Elle était seule, enfin, accompagnée d'aucun homme. Ce qui l'arrangeait vu ce qu'il comptait faire. Il poussa un léger soupir en se redressant un peu. L'époux d'Elizabeth était soit idiot, soit aveugle, pour la laisser seule à Londres. Si Alasdair se remariait un jour, déjà il choisirait une femme au physique agréable, mais en plus, il ne la laisserait jamais seule avec d'autres hommes.
Une barge richement décorée se trouvait sur les quais, vides, attendant des passagers pour que l'homme la conduisant s'élance sur le fleuve. Des tentures masquaient l'intérieur où étaient installés un tapis de coussins moelleux, parfait pour préserver un peu d'intimité.
Alasdair n'hésite pas, il fondit rapidement sur Elizabeth, et sans lui laisser le temps de réfléchir il la souleva dans ses bras et la déposa dans la barge avant d'y monter à son tour avant de faire signe à l'homme qui la dirigeait de partir. « Désolé Lizzie, mais quand je t'ai vue, je n'ai pas pu résister à l'envie de t'enlever. » lâcha t-il avec un sourire jusqu'aux oreilles, preuve qu'il était non seulement fier de lui, mais qu'en plus, il ne regrettait pas du tout de l'avoir enlevée ainsi. Il s'installa ensuite confortablement tandis que la barge atteignait le milieu de la Tamise. L'eau noire avait un aspect effrayant et Alasdair referma les rideaux, les enveloppant dans l'obscurité que venait trouer une petite lampe qui éclairait à peine. A vrai dire, Alasdair parvenait à distinguer le visage d'Elizabeth, et les lueurs dorés de ses cheveux. Il tendit d'ailleurs la main vers elle et saisit une mèche de ses cheveux qu'il fit rouler entre ses doigts. Elle avait toujours eu une magnifique chevelure. Cela faisait tellement longtemps qu'il ne l'avait pas vue. Des années. Alasdair était heureux de la retrouver, elle n'avait pas changé, les années passaient, et elle demeurait telle que dans son souvenir. « Tu es ravissante lass, comment fais-tu ? Les femmes doivent mourir d'envie de t'arracher les yeux. » fit-il, toujours en souriant, fort satisfait de lui.

Il lâcha la mèche avec laquelle il jouait et se recula. Il lui faisait face et ne cessait de l'observer, guettant ses réactions. Le sourire d'Alasdair s'évanouit même si il était toujours d'excellente humeur. Il connaissait les problèmes qui secouaient la Cour, et le rôle que chacun avait eu à jouer. Il souhaitait distraire Elizabeth, lui faire oublier ses malheurs, sa tristesse rien qu'un soir. Il lui devait bien cela, après tout, ils avaient été proches dans le passé. Des amis. Si Alasdair allait en Irlande, ce n'était pas pour voir sa famille maternelle, dont il n'avait rien à faire, mais pour la voir elle.
Il se pencha vers elle, son visage frôlant le sien, il plongea son regard clair dans celui de la jeune femme et fit « Tu sais, si j'étais ton mari, je veillerai bien mieux sur toi qu'il ne le fait. Quand on a un trésor, il faut le garder, l'entretenir soigneusement, délicatement... » termina t-il sur un ton suave tandis que ses doigts effleuraient la joue d'Elizabeth. Puis, il se recula, mettant un espace entre eux, mais ne la lâchant pas du regard. « Tu ne peux pas être heureuse.» acheta t-il en la fixant dans les yeux. C'était une constatation, une affirmation, et à cette phrase, son regard pétilla tandis qu'un léger sourire effleurait de nouveau ses lèvres. Car Alasdair était là, désormais.

Le sourire d'Alasdair s'évanouit. Douce Elizabeth. Naïve, et si innocente alors que c'était une femme mariée. Mais elle avait raison, et ses paroles l'avaient atteint. Il l'avait bien cherché après tout en se vantant d'être un meilleur époux que le sien. Il avait été un mari épouvantable pour la malheureuse qu'on l'avait forcée à épouser. Comble de l'ironie, c'était également une Elizabeth. Il ferma les yeux et s'écarta de la jeune femme. Il regrettait d'avoir été aussi distant, et aussi lointain envers sa femme, il l'avait détestée dès qu'il l'avait vue, il n'avait pensé qu'à lui, qu'à sa liberté qu'il perdrait en épousant une femme qu'on lui imposait. Il n'avait pas eu le choix. Mais elle non plus. Alasdair avala difficilement sa salive et tenta tant bien que mal de chasser ses sombres pensées, préférant plutôt se réjouir à l'idée qu'Elizabeth se souvenait de leurs jeux d'enfants. Il sourit. Malgré la différence d'âge, il avait accepté Elizabeth, parce que sous son visage calme et docile, il savait qu'il y avait plus. « Oui. » répondit-il finalement à la question de son amie. « J'aurai été un bon mari parce que j'aurai été honoré de t'avoir à mes côtés. Tu es non seulement belle, Lizzie, et cesse de dire le contraire, je suis un homme et je sais ce que je dis, mais tu es également intelligente. Et malgré le temps qui passe, les années de séparation, je te connais bien. » il soupira, jeta un coup d'oeil au fleuve calme et sombre « Mais le destin en a voulu autrement. »
Il ne regrettait pas. Il avait été marié, était veuf, mais il avait dans sa vie une merveilleuse petite fille désormais. Elizabeth. C'était fou le nombre d'Elizabeth qu'il avait dans sa vie. Sa fille. Son petit rayon de soleil, un vrai feu-follet. Elle était restée en Ecosse. Qu'aurait-il fait d'une enfant à la Cour d'Angleterre ? Rien. Il savait qu'elle était en sécurité, dans son Clan, dans son château. « Dit-moi que tu es heureuse alors, et je promet que je te laisserai tranquille. » lâcha t-il «  Quand à ce que j'ai en tête » continua t-il en retrouvant son sourire « Cela restera dans ma tête pour le moment, mais sache que je ne te veux que du bien. » Il était sincère, il ne lui voulait que du bien. Il était son ami, il la comprenait, elle pouvait se confier, il la consolerait. Toujours.
Alasdair n'aimait pas qu'Elizabeth trouve des excuses à son époux, à vrai dire, elle n'en avait même pas trouvés. Il soupira encore puis quitta sa place pour venir s'asseoir à côté de la jeune femme, il sentait sa chaleur contre son corps. «J'ai l'intention d'être ton soleil Elizabeth. Je veux te faire éclore. » lui souffla t-il à son oreille. Puis il s'écarta lentement d'elle, la dévisageant discrètement afin de voir ses réactions. Jusque là, elle n'en avait pas manifesté beaucoup. Visiblement, elle avait appris à se composer un masque depuis qu'elle vivait à la Cour. Ce n'était pas étonnant en même temps, c'était un vrai nid de vipère et mieux valait rester impassible.
Il ferma les yeux quelques secondes, cela lui faisait un bien fou d'être ici, dans cet endroit clos, à se laisser bercer par les légères ondes de la Tamise, en présence d'une vieille amie dont il savait qu'il ne risquait rien. Son rôle d'ambassadeur était pesant, il devait toujours être à l'affût de la moindre nouvelle et l'envoyer ensuite à la Reine, ou du moins, à la Cour d'Ecosse. Certes, il n'était pas le seul de sa délégation, et fort heureusement car il avait besoin de se savoir entouré, et besoin de parler un peu gaélique. Les Anglais étaient tellement différents des Ecossais, tout passait dans les apparences. En Ecosse, même si cela faisait un peu barbare, c'était à qui tapait le plus fort que revenait la victoire. Ou le premier arrivé, premier servi. En même temps, l'Ecosse était une terre sauvage alors que l'Angleterre était plus paisible. De plus être ici l'éloignait des tensions de la Cour. Pour un soir, rien qu'un soir. Il se tourna vers Elizabeth, il voulait la voir sourire plus encore, mais pour la première fois de sa vie, il ne savait pas quoi dire. Alors il lui prit délicatement sa main, et la serra légèrement dans la sienne.

Il observe, le cœur serré, les larmes qui roulent le long de joue d'Elizabeth et Alasdair ne peut s'empêcher de la prendre dans ses bras, et de la serrer contre lui. Il sait aussi la douleur de la perte d'un enfant, lui aussi en a perdu un. Une petite fille. Si vivante et enjouée un jour, et froide et pâle le lendemain. Elle aime son époux ? Un léger sourire étire ses lèvres tandis qu'Elizabeth l'embrasse. Un bref instant. Alasdair se retint de gronder, et de secouer la tête. Ce n'est pas un baiser ça. Mais Elizabeth a besoin de réconfort, aussi se laisse t-il faire. Elle est malheureuse car elle a perdu ses enfants qu'elle chérissait. Il reste une fille à Alasdair, une raison de vivre. Elizabeth était seule, loin de son époux sans doute plus préoccupé par ses affaires que par son épouse, sans doute était-ce à cause de cela qu'elle souffrait encore plus.
Elizabeth se fait plus distante, comme perdue dans ses pensées. Alasdair sait que ses paroles doivent la travailler, et il ne peut s'empêcher de sourire. Il a réussi à l'atteindre, à la troubler, il devrait se sentir fier et pourtant il ne l'est pas. Il la veut. Mais elle aime son mari, il ne peut pas la séparer de lui. Du moins, son honneur l'en empêche. Foutu honneur. Il avait déjà eu des amantes, des femmes déjà mariées qui n'hésitaient pas à trahir leurs époux, Alasdair s'en souciait peu. Mais à c'était différent. C'était Elizabeth, il lui ferait du mal, forcément. Cela ne pouvait pas se finir bien. Il devrait simplement se contenter de leur amitié, ou y mettre un terme. « Donne-moi ce que je ne connais plus. » lâcha la jeune femme d'une voix douce.
Alasdair la fixa dans les yeux, lui donner ce qu'elle ne connaissait plus ? Il le pouvait, il en avait envie, mais un partie de son être résistait, lui soufflait que c'était mal. Il referma les yeux. Il ne pouvait pas. Ou alors rien qu'un baiser, des caresses pour la réconforter, lui faire comprendre qu'elle était belle, désirable, et qu'elle pouvait être encore heureuse. Doucement, il s'approcha d'elle. Il n'était pas doux ni tendre. Il donnait et il prenait. Elizabeth le considérait comme un ami, et lui, il la désirait. Il prit son menton entre ses doigts, en profitant pour essuyer ses larmes qui avaient coulés du bout des doigts avant de poser ses lèvres sur les siennes. Sa chaleur le fit frissonner, il l'embrassa doucement au début, avant de la forcer à ouvrir ses lèvres plus encore, et de sa langue il titilla la sienne tout en la serrant plus contre lui. Ses mains l'enserraient à la taille, il voulait la sentir contre lui. Et soudain, il s'arrêta, reculant brusquement, le souffle court. Il fallait qu'il parle, mais pour dire quoi ? Qu'il était désolé alors qu'il ne l'était pas ? Qu'un baiser, ce n'était pas tromper ? Avait-elle aimé au moins ? Il n'osa pas lui demander de peur pour passer pour un arrogant imbu de lui-même, aussi se recula t-il le plus possible dans l'ombre afin qu'elle ne puisse pas apercevoir l'expression égarée de son visage. Bon sang, il fallait qu'il reprenne possession de ses moyens, mais la nuit était sombre, magique, enchanteresse. Personne ne saurait jamais rien de ce qu'il se passerait. « Elizabeth... » soupira t-il finalement en baissant la tête. « Je ne veux pas perdre ton amitié. Elle m'est trop précieuse. Mais je ne m'excuserai pas pour ce que je viens de faire. J'en avais envie, et je pense que tu en as besoin. » Alasdair ne voulait pas la voir malheureuse, il ne voulait pas la voir pleurer l'absence de son époux, ou la perte de ses enfants. Et après tout, elle l'avait embrassée en premier.
Elle ne serait jamais à lui. Alasdair l'avait toujours su. Ils se croisaient, au fil des années, mais jamais ils ne marcheraient côte à côte. Et lui-même devrait se remarier un jour, il le savait. De sa première épouse, il n'avait eu que deux filles. Il était Comte d'Atholl et avait besoin d'un héritier, d'un fils. Et le jour où il se remarierai, il voulait être un bon époux, l'époux qu'il n'avait jamais été avec sa première femme. Fidèle.
De plus, il ignorait combien de temps il resterait à la Cour d'Angleterre, un jour, il lui faudrait retourner en Ecosse, là où était sa vie, hors Elizabeth resterait ici. En Angleterre.

Ah les femmes. Elles étaient toujours indécises dès que quelqu'un semait la graine du doute, ce qu'il venait vraisemblablement de faire. Elizabeth était hésitante. Et lui était ravi même si son cœur tambourinait à toute vitesse dans sa poitrine. D'un côté il la forçait à céder à la tentation, et elle était prête à céder, et de l'autre lui, qui était à deux doigts d'obtenir ce qu'il voulait mais qui se ravisait. Il était un bel idiot. Jamais auparavant il n'avait hésité.
Elizabeth le voulait aussi. Elle le lui avait dit. Et jamais il ne la perdrait. Soit-disant. Mais pouvait-il la croire ? Il secoua la tête. Alasdair lui faisait confiance, mais tant de choses risqueraient de changer entre eux. Trop de choses. Un sourire étira ses lèvres tandis qu'Elizabeth évoqua son premier baiser. Et bien sûr qu'il s'en rappelait. Ce n'avait pas été son premier à lui, non, il était plus âgé qu'elle à cette époque, mais déjà, Elizabeth était belle. Et libre. A la dernière question de la jeune femme, Alasdair ne put retenir un soupir tandis qu'il se rapprocha d'elle pour la serrer dans ses bras, il posa un baiser sur son front avant de se reculer et de la fixer droit dans les yeux. Ses yeux emplis d'incertitudes. Elle avait tant besoin d'affection, de se sentir choyée, chérie. « Lizzie, tu mérites plus que n'importe qui d'être aimée. Comment ne peut-on pas t'aimer ? Tu l'as dit toi-même tout à l'heure, tu es généreuse. Et je tuerai quiconque dira le contraire ou tu feras du mal. »
Mais Alasdair savait très bien qu'il n'avait pas répondu à sa question. Il ignorait comment lui répondre, il ignorait si lui-même serait capable de la rendre heureuse. Peut-être qu'elle serait heureuse avec lui, quelques instants dans sa vie, mais il ne pourrait pas la rendre heureuse toute sa vie. Elizabeth avait déjà souffert, et jamais la perte de ses enfants ne s'effaceraient, elle souffrait déjà à cause de cela, et parce que son cœur balançait. Il eut un pauvre sourire. Douce Elizabeth qui s'attachait trop facilement.

Soudain, un cri retentit et une embarcation heurta avec violence celle où le couple se trouvait. Alasdair attrapa Elizabeth par les hanches, de peur que la barque ne se renverse et qu'ils finissent à l'eau. Alasdair savait nager, il était Ecossais après tout, et ce n'était pas les loch qui manquaient en Ecosse. L'eau froide et noire de la Tamise ne lui faisait pas peur, tout ce qui lui importait, c'était la sécurité de la jeune femme. Un homme arriva et prit place à côté d'Elizabeth le plus naturellement du monde avant de déclarer " Gente dame, vous être un véritable soleil, votre beauté vient d'illuminer ma vie et je sais maintenant que je vous aimerai pour l'éternité." et l'imprudent lui prit la main et la baisa. Alasdair vit rouge, et l'envie de lui enfoncer son poignard dans la gorge le prit soudain. Mais finalement, après quelques minutes, il se calma. Elizabeth trouverait sûrement la déclaration de l'inconnu parfaitement ridicule. Tout comme lui. Alasdair ironisa donc « Tu vois mon cœur, nous avons même droit à de l'animation, sans doute un Fou payé pour nous distraire. » avant de lancer un regard assassin à l'homme. « Tu crois que les Fous savent nager Lizzie ? » demanda t-il en relevant ses manches, prêt à jeter l'intrus par dessus bord sans la moindre hésitation. A vrai dire, il était aussi soulagé de l'intervention de l'inconnu, il se sentait tendu face à Elizabeth, même si c'était lui qui avait déclenché la situation. « D'ailleurs » continua t-il « Il semble tellement troublé par ta beauté qu'il en perd ses mots » vous être... l'idiot « Un bon bain glacé lui ferait beaucoup de bien. » D'autant plus que cela ferait très plaisir à Alasdair de l'y pousser. Il était embêté par la présence de cet étranger. « Et cela lui apprendra à ne pas déranger les gens. Même si je crains que cela ne lui remette pas les idées en place puisqu'il semble déjà bien atteint. »

Alasdair écouta d'une oreille distraite la réponse d'Elizabeth, et se promit en évitant de pousser un soupir qu'il lui montrerait à quel point elle était belle. La modestie lui plaisait bien, mais là, c'était peut-être trop. Etait-elle aveugle à ce point ? Ne se regardait-elle pas dans un miroir ? Si il avait été un peintre, il aurait volontiers fait d'elle sa muse, mais il n'était pas peintre, pas plus qu'il n'était poète et il ne pouvait pas écrire des vers afin de louer sa beauté, ses cheveux dorés, sa peau aussi pâle que de l'ivoire. Il pouvait le penser, mais le dire, jamais. Il était un Écossais, pas une de ces lavettes anglaises bien vêtues et parfumées comme cet homme qui ne méritait même pas ce qualificatif et qu'il prenait trop de place sur cette barque.
Lui aussi commençait à en avoir assez, comme la jeune femme d'ailleurs. Il faillit sourire à la tentative de celle-ci pour faire partir l'inconnu, il espéra un bref instant que cela fonctionne, mais malheureusement, ce ne fut pas le cas, car sans se départir de son éblouissant sourire, le bellâtre se contenta de se recoiffer avant de partir à l'attaque. « Lady Clinton ne me dites pas de renoncer à vous, je ne le pourrais. Jamais je n’ai vu de femme aussi belle que vous. En ce qui concerne votre époux, lord Clinton est si aveugle, qu’il ne se rendra compte de rien, je vous le promets, je serais le plus discret des hommes. »  Bien que cela lui coûta, Alasdair parvint à se maîtriser, il serra les poings jusqu'à faire blanchir les jointures de ses doigts. Il devait admettre que l'intrus comme lui étaient à peu près sur la même longueur d'onde, et ils voulaient à vrai dire la même chose. Mais c'était le seul point commun qu'ils avaient. Et Alasdair n'était pas près de laisser Elizabeth lui échapper. Parce qu'il savait qu'elle allait souffrir, et que, de toute façon, Elizabeth ne voudrait jamais de cet étranger. Elle avait déjà un époux idiot, mais un amant idiot ? Ça non.
Il n'était pas sauvage au point de gronder, mais il se retint lorsqu'il vit l'homme couvrir les mains d'Elizabeth de baisers passionnés. Certes, lui avait eu sa bouche, mais quand même.
Il se leva, dominant le « couple » de toute sa hauteur, ses yeux lançaient des éclairs furieux, et lorsqu'il parla, son accent écossais ressortait encore plus que d'habitude, preuve qu'il était vraiment à bout «  Maintenant ça suffit. » Il s'ennuyait. Ou plutôt non, justement, il n'était plus du tout amusé par le comportement de l'homme. Elizabeth était à lui. A lui.
Si l'autre voulait se battre pour l'avoir, ils allaient se battre parce qu'Alasdair ne lui laisserait pas. Certes, il était Ecossais, et sans doute l'Anglais croyait qu'il était un sauvage, il avait raison, c'était un Highlander, et l'Ecosse était différente de l'Angleterre, notamment parce que là-bas, on n'hésitait pas à faire la guerre avec le Clan voisin. Là-bas, les hommes au moins, étaient des vrais. Et l'Anglais allait goûter à ses poings.
La barque tangua dangereusement tandis qu'Alasdair avança d'un pas menaçant vers l'homme, qu'il saisit au collet et redressa d'un coup sec. Il n'avait pas peur de tomber à l'eau, il y était habitué. A vrai dire, il craignait plus pour Elizabeth. Si elle tombait, il la rattraperait, évidemment, mais elle semblait si fragile, si délicate, il n'avait pas envie qu'elle soit malade par sa faute. « L'eau froide calmera définitivement vos ardeurs, et soyez heureux que je ne vous défonce pas le visage à coup de poing. Je suis sûre que ces Dames ne vous manifesteront plus aucun intérêt lorsque je vous aurai défiguré et que j'aurai cassé toutes vos dents. » Ce fut dit, et ce fut fait, car Alasdair n'était pas un homme à hésiter. Sans la moindre pitié, il poussa l'intrus hors de la barque, qui faillit se renverser et l'observa, fort satisfait, être aspiré par l'eau noire et froide de la Tamise. Alasdair avait déjà tué des hommes, alors un de plus ou un de moins, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Il se retourna vers Elizabeth inquiet, puis s'assit à ses côtés, en la serrant dans ses bras « Je suis désolé ma douce. J'espère quand même qu'il sait nager et qu'il fichera le camp d'ici. » fit-il avant de lui déposer un rapide baiser sur les lèvres. A vrai dire, si il revenait, il goûterait vraiment ses poings, et Alasdair ne se retiendrait pas devant Elizabeth. Doucement il enfouit ses doigts dans ses cheveux toujours lâchés, cascadant librement sur ses épaules, avant de se pencher et de ramasser sa coiffe, tombée sur le sol, il lui redonna, lui intimant de se recoiffer. Il ne voulait plus que ce fou, si il revenait, profite de la vue.

Alasdair vit avec horreur Elizabeth tomber à l'eau. Comment fit-elle ? Il n'en avait aucune idée, mais le fait était là, un instant elle était dans ses bras, et l'autre, son corps heurtait l'eau glaciale de la Tamise dans laquelle elle s'enfonça. Les étoffes lourdes de sa robe et de ses jupes devaient l'aspirer vers le fond, alors qu'elle ne savait même pas nager. Alasdair se pencha du côté où la belle était tombée, réfléchissant à où exactement elle avait plongé malgré elle, afin de la récupérer. Il aurait pu s'enfoncer dans l'eau tête baissée comme un parfait idiot, il en était capable, mais avant cela il préférait attendre qu'elle remonte, car elle remonterait forcément à la surface, même si elle ne savait pas nager, elle se débattrait. Il se maudit. Surtout que l'inconnu avait fini sa course dans l'eau lui aussi. Quel idiot. Quel idiot. Il s'insultait et maudissait à la fois ce blanc-bec. Il était fou de rage, et d'inquiétude. Pourquoi ne plongeait-il donc pas ? Quelques secondes s'étaient écoulées depuis la chute de la jeune femme et Alasdair avait l'impression que cela faisait des minutes entières. Fort heureusement, la rive n'était pas loin, la Tamise ne devait pas être trop profonde. Mais sa surface restait désespérément lisse, sans aucune trace de Lizzie. Alasdair ferma les yeux, et lorsqu'il les rouvrit, il était près à plonger pour aller la chercher.
Le blond réapparut à la surface de l'eau en criant « J'arrive ma belle, je viens vous sauver » avant de disparaître dans l'eau une nouvelle fois. Alasdair distingua ensuite Elizabeth, se débattant, vers qui l'inconnu se dirigeait. Il ne l'avait pas vue réapparaître à la surface, fou d'inquiétude. Le blanc-bec la ramena vers la rive, saine et sauve en lui disant quelque chose qu'Alasdair ne saisit pas. Il lui faisait la cour sans doute. « Alors l'Ecossais vous ne savez pas nager ? » cria ensuite l'idiot. Grondant, Alasdair se saisit carrément des rames et rama vers la rime, sur laquelle il posa pied, parfaitement sec. « Je nage comme un poisson dans l'eau idiot. » cracha t-il avant de s'agenouiller vers Elizabeth. Rapidement, il sortit son poignard de sa botte et trancha les rubans et les fils de son corsage, et lui ôta sa robe, veillant à cacher corps aux yeux de l'intrus. Elle se retrouvait en sous-vêtement, trempée, sur les bords de la Tamise. Alasdair ôta le plaid qu'il portait à l'épaule, et enveloppa Elizabeth de l'épais tissu en laine qui la réchaufferait. « Désolé de ne pas avoir plongé aussitôt ma douce, je te cherchais dans l'eau. » Il jeta un regard meurtrier à l'homme blond, qui malgré son costume dans un état lamentable, souriait de toutes ses dents. Il le tuerait, plus tard, car en attendant, il avait tout de même sauvé Elizabeth. « Au moins, grâce à moi, tu resteras au sec. » finit-il de dire en la prenant dans ses bras et en la serrant contre lui, espérant que la chaleur de son corps la réchaufferait aussi. Et profitant du même coup de l'étreinte pour la rassurer et la réconforter. Il reporta ensuite son attention sur le bellâtre « Je ne te tuerai pas aujourd'hui Sassenach, parce que tu l'as sauvé, mais crois-moi, approche-la encore une fois, et insulte-moi encore une fois aussi, et je te lance mon poignard au travers de la gorge. » Alasdair lui sourit méchamment. Ne jamais, jamais insulter un Ecossais. Pour qui se prenait-il cet Anglais ? Certes il savait nager, mais c'était là la seule qualité que le Comte d'Atholl était prêt à lui reconnaître. Il n'avait toujours pas digéré le fait qu'il n'avait pas directement plongé dans l'eau pour sauver Elizabeth. Alors qu'il était habitué à nager. Il venait des Highlands ! C'était un Highlander ! Combien de fois avait-il nagé des les loch ? Il ne les comptait plus tant elles étaient nombreuses.

Heureusement pour Elizabeth, Alasdair ne s’était pas mouillé. Ignorant royalement l’Anglais qui s’était finalement décidé à déguerpir, le jeune homme s’agenouilla près d’une Elizabeth tremblante de froid par cette nuit froide et se débarrassa de son tartan, tissu épais en laine qu’il disposa sur les épaules de sa belle. « Je suis désolé, je n’ai rien à te donner pour te débarrasser de tes vêtements mouillés mais au moins, tu ne mourras pas de froid. » Puis il la souleva dans ses bras et quitta les rives de la Tamise, marchant en direction de la demeure d’Elizabeth. Il ne pouvait guère l’abandonner dans cet état aussi avait-il décidé de la raccompagner. Si jamais il croisait son époux, ce dont il doutait, il s’expliquerait. Un homme avait importuné son épouse alors qu’ils participaient à une balade organisée par la Reine, et elle était tombée à l’eau. De toute façon, Alasdair ne se sentait absolument pas coupable. Qu’avait-il fait de répréhensible –le baiser mis à part- ? Rien.
Quand aux domestiques qui risquaient de parler, de cancaner, il laissait le soin à Elizabeth de les disputer afin qu’ils restent à leurs places. C’était une femme intelligente, elle y arriverait. Les rues de Londres étaient sombres et dangereuses, mais curieusement Alasdair ne fit aucune mauvaise rencontre, sa grande taille devant dissuader. Il resta silencieux durant tout le trajet, se contentant de serrer fort Elizabeth afin qu’elle ne meure pas de froid. La nuit était calme. Enfin après des dizaines et des dizaines de minutes de marches, il arriva devant la demeure de la jeune femme, se contenta de la laisser devant, et s’inclina devant elle « Au plaisir de te revoir ma douce » fit-il avant de lui baiser chastement la main et de partir rapidement, se glissant dans les ombres. Il ne pouvait prendre le risque de compromettre sa réputation.

(c'est court mais j'ai peu de temps :/)