Westminster Abbey se dressait devant Alasdair dans toute sa splendeur. Celui-ci laissa son regard errer sur le bâtiment, admirant le travail réalisé par les artisans des siècles auparavant. Un vrai chef d'oeuvre. Alasdair n'était plus catholique depuis longtemps, et c'était là une chose que tout le monde ignorait. Il s'était converti par conviction personnelle, parce qu'il n'avait plus confiance en les papes qui s'enrichissaient sur le dos du peuple, à vrai dire, l'Eglise n'hésitait pas à se servir, pas seulement les papes. Ils ne respectaient plus leurs vœux de pauvreté et de chasteté. De toutes les personnes de la Chrétienté, sans doute étaient-ce les plus viciées. D'un pas décidé, il pénètre finalement dans le sanctuaire de Dieu et, ébahi, s'arrête sur le seuil. La nef s'étend devant lui, entourée d'immenses colonnes soutenant une voûte magnifiquement sculptée. Une merveille. Les vitraux illuminent l'intérieur, amenant des touches de couleurs ça et là. L'odeur de l'encens envahit soudain les narines d'Alasdair qui ne put s'empêcher de grimacer tant l'odeur le dérange, il ne l'a jamais appréciée.
Lentement, Alasdair se dirigea vers le côté gauche de l'abbaye, et s'appuya contre une colonne tout en observant les personnes, qui, près du choeur, priaient. Jamais Alasdair n'avait cru en cela, pas vraiment. Il croyait en la force, c'était la seule valeur de ce monde.
Une silhouette franchit la porte d'entrée de l'abbaye et Alasdair se retourna. La jeune femme, toute de bleu vêtue, n'était autre qu'Elizabeth Clinton. Son Elizabeth. Il fut heureux de la voir ici mais il savait également quels tourments faisaient rage en elle. Ou les devinaient. Jane Grey avait été décapitée. Pauvre petite.
Alasdair suivit Elizabeth des yeux, et la vit se diriger vers le confessionnal dans lequel elle se glissa. Sans un bruit, il la suivit et s'assurant que le prêtre était occupé ailleurs -à vrai dire, il ne le vit même pas-, il se glissa à côté d'elle, de l'autre côté du panneau en bois, et referma la rideau d'un coup sec, s'immergeant dans l'obscurité. Le silence se fit pesant, Alasdair attendait la respiration rapide d'Elizabeth qui finalement, commença à parler «  Mon père, je suis venue pour me confesser de mes péchés. Je ne sais pas où commencer … J’ai trahie une amie pour suivre le vœu de mon époux, mon ancien premier amour m’a embrassé … » Silence de niveau « et je crois que je suis amoureuse d’un homme que j’avais connu par le passé … Mon père, qu’est-ce que je dois faire ? Je veux connaître le bonheur dans les bras de cet homme mais c’est un péché n’est-ce pas ? » Alasdair prit le temps de digérer les informations. Ainsi, c'était son époux qui l'avait forcée à trahir Jane Grey. Le Comte d'Atholl serra les poings, tout en se demandant ensuite qui était ce premier amour qui l'avait embrassée. Ce n'était pas lui, lui devait être l'homme dont elle pensait être amoureuse, car ils s'étaient connus durant l'enfance. Et il l'avait embrassé aussi, mais visiblement, cela ne l'avait pas autant marquée que son « premier amour ». Prenant une grande inspiration, Alasdair, veillant à effacer son accent écossais, répondit :

« Ma fille, sachez qu'ici, Dieu vous pardonnera tout.
Une femme se doit d'être obéissante envers son époux, et vous avez peut-être trahie une amie, mais si celle-ci a été condamnée, c'est qu'elle devait être coupable. Vous, vous n'avez rien fait, si ce n'est être fidèle envers l'homme qui vous a été donné. Fidèle, c'est également ce que vous avez promis d'être lorsque vous avez échangé vos vœux, le jour de votre mariage, jour que Dieu a béni. » il s'arrêta, se maudissant et ne croyant pas un seul instant à ses paroles. Il était en train de la dissuader de tomber dans ses bras, et Alasdair la voulait oui, mais voulait-il vraiment qu'elle tombe amoureuse de lui ? Non, pas vraiment, il voulait qu'elle le désire, mais qu'elle l'aime non, il lui briserait le cœur, elle était mariée, et lui devrait songer à se remarier également. Tout les séparaient. « Ne commettez pas le péché d'adultère ma fille, ne brisez pas l'un des Commandants divins. L'envie est un péché, résistez, vous en ressortirez grandie. »

Patiemment, Alasdair écouta tout ce qu'Elizabeth avait à lui dire tout en s'exhortant à rester calme. Comment une femme pouvait se poser autant de questions ? Et comment les curés faisaient pour répondre à toutes ces questions sans jamais se départir de leurs calmes ? Sans jamais perdre patience. « Vous n'êtes pas responsable de ce qu'il s'est passé, et vous avez des remords, je le sens bien. Dieu vous pardonne ma fille, comme Il pardonne à votre amie dont l'âme doit être au Paradis désormais. Quand aux baisers chastes mon enfant, aucun baiser n'est chaste, ce sont des hommes, ils n'ont aucun lien de parenté avec vous, alors ce ne peut être chaste. L'amour n'a rien à faire dans un mariage. Du moment que votre époux pourvoit à vos besoins, vous offre un toit, nourriture, respect, que demander de plus ? Les hommes sont occupés, et vous, femmes, n'êtes là que pour veiller qu'ils aillent bien. C'est malheureux à dire, mais c'est ainsi. Vous devez demeurer fidèle à votre époux car l’infidélité est un péché grave et Dieu, même si il pardonne toujours, pardonnera plus difficilement. C'est à vous de voir si vous êtes prêtes à endurer plus de tourment encore, car vous êtes tourmentée mon enfant. » Elizabeth se tut. Alasdair ne percevait que sa respiration, qui s'était encore plus emballée que d'habitude. Difficilement il parvenait à voir les contours de son visage. L'amour propre d'Alasdair fut pansé lorsqu'elle avoua être attirée par lui. Preux écossais. Cela le fit sourire. Il n'était pas preux du tout. Il se battait pour avoir ce qu'il voulait, désirait, c'était tout.
Un froissement de tissu se fit entendre et Alasdair comprit qu'elle se mettait à genou dans l'espace réduit. « L'amour ma fille, est un cadeau rare et précieux, accordé par Dieu à des êtres. Hors Dieu vous a déjà uni à un homme. Ne le trahissez pas. » fit-il, sachant parfaitement que le mot trahison la ferait souffrir « Il est normal d'avoir de l'affection pour un homme, mais veillez juste à ce que cela reste de l'affection. Vous connaissez cet homme, cet écossais, depuis longtemps, vous l'avez dit, et vous l'avez revu alors que les années vous avez séparés. Peut-être cette attirance ne durera pas, mais ne le laissez pas vous entraîner sur le chemin de la perdition. » Alasdair réprima un rire lorsqu'Elizabeth demanda au soit-disant prêtre de se mettre à la place de son Ecossais. Pauvre prêtre. Heureusement qu'Alasdair était à sa place. « Ma fille voyons ! Reprenez-vous ! Je suis un homme de Dieu, mes pensées sont toutes dirigées vers Lui et Lui seul. Je ne peux guère avoir de pensées impures. Et je n'aime que Notre Père. Mais si j'étais un homme d'honneur, et un Chrétien, alors jamais, jamais je ne pervertirai une jeune femme mariée à un autre. De surcroît si cet homme est également marié, et même s'il ne l'est pas, peu importe. Ne rompez pas vos vœux. » Il poussa un soupir « Ma fille, votre âme est en danger, je le sens. Le désir n'est qu'un cadeau du démon, la preuve du péché originel ! Cet homme est la Pomme du Jardin d'Eden, la Tentation, ne vous laissez pas tenter, ne vous laissez pas séduire. Eve a croqué dans la pomme, et à cause d'elle, les hommes sont condamnés à la mortalité. Ecoutez votre raison mon enfant. Que gagnerez-vous à céder à cet homme alors que vous êtes à un autre ? Quelques nuits ? Quelques mois ? Vous retournerez ensuite à votre époux avec le souvenir de ces instants qui ne reviendront jamais. Vous serez peut-être heureuse, comblée, mais au fond, vous êtes une jeune femme vertueuse et vous souffrirez de cet écart. »
Alasdair se tut, ne sachant que dire, avant de finalement continuer « Je ne puis vous guider ma fille, cette voix est inconnue pour moi, mais Dieu veut voir ses enfants heureux, et je suis sûr que vous pourrez trouver votre bonheur ailleurs. Dans la prière par exemple, ou l'étude. » Il ne put retenir une grimace. Alasdair ne souhaitait pas se faire prendre mais il était en train de dissuader Elizabeth de tomber dans ses bras, hors, ce n'était pas cela qu'il voulait. Si la jeune femme était convaincue par ce que le prêtre lui disait, alors elle serait d'autant plus difficile à séduire, sauf si il lui promettait de la rendre heureuse. Il pourrait tenir cette promesse, car il l'aimait, il la désirait, c'était une amie, une jeune femme merveilleuse qui méritait de connaître le bonheur ne serait-ce que quelques instants, mais c'était tout ce qu'il pourrait jamais lui offrir.

Alasdair attendait qu’Elizabeth sorte pour se permettre de souffler un peu. Faire preuve de tant d’imagination l’avait fatigué. Il se confessait si peu qu’il avait du fouiller profondément en sa mémoire afin de trouver les paroles adéquates. De plus, le catholicisme ne lui disait plus rien étant donné qu’il s’était converti. La perversion des hommes d’Eglise l’avait dégoûté, ainsi que tous ces problèmes au nom de la religion.
Doucement, Alasdair jeta un coup d’œil et vit la jeune femme s’éloigner dans la nef. Il patienta un peu, voulant être sûr qu’elle ne se retournerait pas, mais elle s’arrêta pour échanger quelques mots avec un prêtre tout en jetant un coup d’œil au confessionnal. L’avait-elle percé à jour ? Il n’espérait pas car assurément tout ce qu’il avait dit avait du la faire souffrir, et il s’en voulait d’avoir à la culpabiliser, mais lui-même était perdu dans le flot de ses sentiments. Prendre une femme comme amante ne le gênait absolument pas, mais piquer la femme d’un autre, c’était différent. Elle était certes malheureuse, cela n’empêchait rien. La retrouver avait été agréable, la pourchasser aussi, mais maintenant qu’il savait qu’elle était consentante, toute l’excitation s’envolait, il n’avait plus qu’à tendre sa main pour la cueillir telle une fleur ou un fruit mur. Il hésitait.
Sortant du confessionnal l’air de rien, il prit un cierge qu’il alluma, tout en déposant quelques pièces et en murmurant une brève prière afin qu’on lui pardonne le fait d’avoir pris la place d’un prêtre et entendu une confession qui n’était pas destinée à ses oreilles. Le prêtre avec qui Elizabeth avait parlé vint vers lui et lui dit qu’une jeune femme l’attendait près de la fontaine dehors. Alasdair s’y dirigea donc et s’arrêta à la sortie de l’Abbaye, elle était de dos, attendant sa venue. Avisant un enfant qui joue près de lui, il lui fit signe de venir et glissa une pièce dans sa main crasseuse en disant « Tu en auras une de plus si tu vas dire à la belle dame près de la fontaine que je ne peux la rejoindre, mais que je me ferai pardonner plus tard. » Alasdair rentra de nouveau dans l’abbaye afin de se dérober au regard d’Elizabeth et attendit que le garçon revienne. Lorsqu’il revint, l’Ecossais lui tendit une autre pièce et se dirigea vers le fond de l’Abbaye, vers des portes mineures. Il en ouvrit une, et disparut tout à fait. Elizabeth ne pourrait le suivre. Alasdair se sentait lâche, mais il devait encore digérer tout ce qu’il venait d’apprendre.