new world, new life
- Attrapes moi Aldercy! Une petite fille rousse courrait à la suite de son grand frère qui, de trois ans son aîné, avait plus de forces dans les jambes et était par ainsi beaucoup plus rapide que la petite. Celle-ci n'abandonnait pas cependant et faisait bien attention à ne pas poser le pied sur sa robe pour éviter de tomber sur le sol.
Quelques mètres derrière eux, les parents des deux enfants se promenaient, gardant un œil sur leur progéniture. En regardant Mme Willard, on devinait immédiatement d'où provenait la chevelure de feu de la petite Aldercy. Lorsqu'elle regardait ses enfants, Jane Willard affichait toujours ce regard plein de bienveillance. Son mari, Edmond Willard, comte de Berkshire, au contraire, avait un air plus dur, plus sérieux.
- Aldercy a assistée à ses premiers cours de lecture et d'écriture. On m'a rapporté que pour une jeune fille de son âge, elle est très attentive et possède un très bon potentiel. dit Jane Willard à l'intention de son mari.
Elle sera très intelligente.
- Cela est bien pour elle. Ne trouvez-vous pas qu'elle manque de manières cependant?
- Vous plaisantez? Aldercy sait très bien se tenir.
- Je la trouve un peu trop curieuse pour son âge. Très souvent, elle pose des questions à propos de la société et ne semble pas la comprendre.
- La curiosité n'est pas un défaut. Cela prouve ce que j'ai dit précédemment. Elle sera très intelligente.
- Espérons qu'elle ne le soit pas trop alors, je crains pour sa future vie conjugale. Jane Willard n'ajouta rien de plus. Son mari n'aimait pas lorsqu'elle le contredisait et elle savait que lorsqu'il avait une idée en tête, M.Willard pouvait se montrer très entêté. Son mari avait des projets pour ses enfants, il avait toujours été très ambitieux. Son fils, Thomas, hériterait de ses titres et deviendrait un homme exemplaire. Aldercy, quant à elle, apprendrait à devenir une bonne épouse ainsi qu'une bonne mère de famille.
Mais Jane ne l'entendait pas ainsi. Ses enfants auront le droit de tracer eux-mêmes leur propre vie.
* * *
- Thomas! Je peux jouer avec toi? s'exclama Aldercy en dévalant les escaliers pour retrouver son frère dans le grand jardin de leur demeure.
Son frère, qui utilisait un bâton pour épée, s'imaginait au combat et frappait l'air. Il se stoppa et regarda sa sœur alors âgée de neuf ans.
- Non. Je combat seul.
- Mais tu ne combats personne. remarqua la jeune fille en croisant ses bras.
Je pourrais te combattre.
- Non. répondit son frère catégoriquement.
- Et pourquoi?
- Parce que tu es une fille. Ce n'est pas un jeu pour vous, va jouer à la poupée ou je ne sais quoi d'autre.
- Mais je n'en ai pas envie! protesta la petite qui levait la voix à présent.
Les deux jeunes commencèrent à se chamailler ce qui attira l'attention de leur mère qui vint les rejoindre, les sourcils froncés.
- Puis-je savoir ce qu'il se passe ici?
- Thomas veut pas que je joue avec lui. Il dit que c'est pas un jeu pour fille. répondit aussitôt Aldercy qui espérait voir sa mère se ranger de son côté.
Mme Willard lança un regard sévère à son fils.
- C'est donc ce que tu penses? Il n'y a pas de jeu pour fille ou de jeu pour garçon, jeune homme. Je te l'ai appris.
- Mais maman...
- Pas de mais. Ne refuses plus jamais de jouer avec ta sœur sous prétexte qu'elle est une fille.
- Cessez d'importuner Thomas, intervint une voix masculine.
Edmond Willard venait d'arriver à son tour.
- Ce garçon a raison. Les combats ne sont pas pour les femmes mais pour les hommes. Cela est bien trop dangereux. Jane envoya un regard sévère à son mari mais celui-ci la défia du regard et elle dut se résoudre à ne pas le contredire. Elle ne voulait pas faire de scène devant les enfants bien que l'envie de défendre la cause féminine était très puissante.
C'est ce jour là qu'Aldercy comprit réellement qu'elle vivait dans une société dans laquelle les femmes étaient moins puissantes que les hommes. Une société où les femmes avaient le devoir de se soumettre aux hommes. Cela la révoltait plus que tout. Elle détestait que l'on lui donne des ordres et que l'on lui impose une personnalité qui n'était pas la sienne. Elle voulait donner ses opinions sans que l'on lui reproche, elle voulait avoir autant de pouvoir qu'un homme pouvait en posséder et surtout, elle voulait avoir le droit de choisir qui elle épouserait. Elle ne voulait pas épouser un homme pour lequel elle ne ressentirait pas de sentiments. En effet, l'amour, avait-elle remarqué, était une chose bien étrange à son époque.
* * *
Aldercy s’exerçait à la lecture lorsque ses parents entrèrent dans le salon. Elle ne put s'empêcher d'écouter ses parents converser à propos de la situation nouvelle d'Angleterre.
- Je suis heureuse que l'Angleterre soit à présent protestante. commença Jane Willard.
J'attendais cela depuis fort longtemps=. J'avais presque perdue espoir. Notre roi sera assurément un très bon souverain et apportera de grandes choses à notre pays.
- Bien sûr qu'il le fera. Je vous avoue que je suis un peu perturbé par tous ces changements mais si le roi décide que le protestantisme est la meilleure des religions alors c'est qu'il en est ainsi et pas autrement.
- Mon mari vous avez peu d'opinions personnelles. constata Mme Willard avec un air moqueur.
Edmond Willard lança un regard pleins de reproches à sa femme. Aldercy pouvait lire toute la frustration et la colère qu'il éprouvait rien qu'à son regard.
- Je vous demande pardon?
- Le roi déciderait que les hommes devraient porter du jaune tous les jours de la semaine que vous le feriez sans sourciller.
- En quoi cela est-ce un mal? lui reprocha-t-il d'un ton intimidant.
J'aurais des opinions différentes de celles du Roi que notre situation serait compromise très chère. Que je ne vous prenne plus jamais à dire de telles sottises sur mon compte et ce surtout en société. Jane ne dit rien de plus et prit sur elle comme à son habitude. Elle ne voulait pas faire de scènes devant sa fille et envoya à cette dernière un sourire qui signifiait que tout allait bien. Aldercy admirait le courage de sa mère. Aldercy avait déjà vu des femmes se taire tant de fois et acquiescer la moindre opinion de leurs maris. Sa mère pourtant, ne se retenait jamais pour dire ses propres opinions à son mari quand bien même ce dernier en serait exaspérait.
C'est à cette époque qu'elle pratiqua le protestantisme. La réforme qu'avait mit en place Edward VI enchantait sa mère, qui avait toujours été attirée par cette religion, et très vite ce fut le cas d'Aldercy qui semblait découvrir la religion pour la deuxième fois de sa vie.
* * *
Les larmes ne cessaient de couler sur les joues d'Aldercy. Elle essayait du plus fort qu'elle le pouvait de les retenir mais la douleur était trop forte. Elle le savait. Elle n'était pas dupe. Elle partageait ses derniers moments avec sa mère. Il n'y avait plus d'espoir. Jane Willard était en quelque sorte déjà partit rejoindre un autre monde. Elle avait perdu conscience depuis plusieurs minutes déjà, la fièvre qu'elle avait subitement attrapée étant devenue trop puissante.
Aldercy avait pris la main de sa mère tendrement entre les siennes et priait. Priait pour qu'un miracle se produise et que sa mère garde la vie qu'elle avait en elle. Thomas, de l'autre côté du lit, serrait la main de sa mère également et avait un regard pris d'une terrible tristesse lui aussi.
Edmond Willard, était assis dans un coin de la chambre, le regard perdu dans le vide. Comme s'il n'osait pas voir sa femme dans un tel état. Il n'avait aucunes larmes sur le visage contrairement à ses enfants. Aldercy lui en voulait pour cela. Avait-il seulement éprouver le moindre sentiment pour sa femme? Peut-être aux premiers instants qu'il avait passé avec elle mais cela remontait à tellement loin...
Jane Willard remua un court instant, faisant naître un sentiment d'espoir et d'effroi à la fois dans le cœur de ses enfants, puis s'immobilisa. Un lourd silence s'abattit dans la chambre, comme si plus personne n'osait parler ou même respirer. Le médecin s'approcha de Jane Willard, l'examina puis dit d'un ton grave :
- Je suis désolé. C'est finit. Aldercy et Thomas explosèrent en sanglots alors que Edmond Willard ferma les yeux. Tout était finit. Jamais plus ils ne reverraient ce sourire plein de douceur qu'ils aimaient tant. Jamais plus il ne partagerait de moments avec leur mère. Celle qui les avait tant aimé et appris tant de choses. Aldercy avait perdue sa mère, sa meilleure amie et son modèle. Qu'allait-elle devenir sans elle? Sa mère avait toujours été celle qui la protégeait des ambitions trop encombrantes de son père. La jeune fille allait devoir affronter son père seule à présent.
* * *
Un sourire au coin des lèvres, Aldercy monta dans la calèche suivie de près par son père et son frère. Elle s'assit et réprima son sourire pour éviter de mettre plus en colère son père. Encore une fois, elle avait évité un mariage arrangé. Son père l'avait présentée, une nouvelle fois, à un homme qu'il avait espéré la voir épouser. L'homme en question avait été ravi en voyant Aldercy seulement celle-ci s'était arrangée pour le vexer "involontairement" et "innocemment".
Lorsque la calèche se mit à avancer, Edmond Willard exprima sa colère à sa fille :
- Comment osez-vous nous ridiculiser ainsi? De quoi avons-nous l'air maintenant?! Vous avez intérêt à mieux vous comporter sinon...
- Sinon quoi? répliqua Aldercy.
Vous me chasserez de la demeure familiale? Ce serait mal vu par la société n'est-ce pas?
- Vous ne cessez de me répéter que vous êtes une adulte à présent et non une enfant. Alors agissez comme telle pour une fois!
- Je ne vous appartient pas! éclata la jeune fille pleine de rage.
Je suis un être humain, comme vous!
- Vous êtes ma fille et donc vous m'appartenez! Vous vous conduirez comme je vous dirais de le faire et vous épouserez l'homme que je vous choisirais.
- Je ne vous laisserais pas m'imposer une vie que je refuse de vivre! M.Willard leva la main et celle-ci s'abattit sur la joue de la jeune fille dont les yeux vinrent s'embuer de larmes. Son père ne montra pas une once de regrets sur son visage. Aldercy était outrée et dévastée. Elle lança un regard plein de désespoir à son frère mais celui-ci fixait le sol.
Avec un visage marqué par la tristesse et la rage, Aldercy cracha :
- Mère ne l'aurait jamais permis.
- Votre mère n'est plus là. C'est ce qui attrista le plus Aldercy. Sa mère n'était plus là, et elle avait l'impression de s'éloigner toujours plus de sa famille. Elle ne partageait plus rien avec cette dernière. Thomas s'était éloigné d'elle à la mort de leur mère. En effet, celui-ci avait pris son père comme modèle lorsqu'il avait perdu ses repères.
Aldercy se sentait étrangère au sein de sa propre famille.
* * *
Très chère mère,
Il ne passe pas un jour sans que votre présence à mes côtés me manque terriblement. Cela fait maintenant deux ans que vous nous avez quitté et il me semble que cela fut une éternité. J'espère que vous êtes heureuse là où vous vous trouvez actuellement et que rien n’entache votre moral. J'espère aussi que vous vous trouvez dans un endroit meilleur que le monde dans lequel vous avez jadis vécu. En effet, l'Angleterre connait des temps difficiles. Notre roi est décédé un an après vous. Jane Grey est monté au pouvoir, hélas, pour neuf jours seulement. Mary Tudor s'est emparé du trône. Comme vous le savez, Mary n'est pas protestante mais est catholique comme le fut jadis sa mère, Catherine d'Aragon. Les protestants sont en danger. Beaucoup d'entre nous ont perdu la vie. Nous n'avons que deux solutions pour survivre : la première étant de nous convertir au catholicisme, la deuxième étant de faire semblant. Père et Thomas se sont convertis au catholicisme, j'imagine que cela ne vous étonne pas en ce qui concerne père. Pour ma part, je me cache. Bien sûr je resterais protestante, quoi qu'il arrive. J'aimerais agir pour ma foi mais j'en suis incapable malheureusement. Je peux cependant vous promettre que je resterais fidèle à celle que je suis et que je serais prudente.
Avec tout mon tendre amour,
Aldercy