Les enfants grandissaient beaucoup trop vite, un jour on pouvait encore les tenir dans le creux de nos bras et le lendemain ils pouvaient déjà tenir leur première épée. Henry Cavendish était en âge d’apprendre à se battre, il avait déjà eu de nombreux cours sur les disciplines de combat, mais jamais encore il n’avait possédé sa propre épée. Celle-ci attendait chez l’un des forgerons de Londres, Antanasya qui devait aller dans certains en commerce en compagnie d’une suivante et d’un serviteur proposa à son mari de prendre l’objet, pour en faire cadeau le soir même à leur fils ainé. Anya avait hâte de voir la joie dans le regard de son fils et de le voir essayer sa première arme.
Comme elle l’avait prévu, la duchesse de Devonshire se rendit chez le forgeron après les achats qu’elle devait faire. Celui-ci qui la reconnu aussitôt lui montra l’ouvrage qu’il avait réalisé. Trouvant l’objet magnifique, la duchesse s’empressa de le montrer à sa suivante et son serviteur.

« Vous avez fait là un bien bel ouvrage. Félicitation, mon fils sera heureux d’avoir sa première épée. » La jeune femme était joyeuse et tandis que la suivante donnée la somme correspondante au prix de l’objet, Antanasya prit l’épée entre les mains. Elle était légère, elle brillait et les onyx incrustés lui donnaient fière allure. Sans faire de geste brusque, elle fit fendre l’air à l’épée, pour essayer la lame.
« Oui elle conviendra très bien à mon fils. Malheureusement je crains que sa jeune sœur soit jalouse, il se pourrait que vous receviez une autre commande de ce type. » En effet, la petite Agnès voulait tout faire comme son père et même si Anya faisait tout pour en faire une parfaite jeune fille, celle-ci préférait la nature, le combat et les jeux de garçons.

Le forgeron de Londres commençait à bien me connaître, parce que j'y allais souvent, très souvent même. Si je ne suis plus un guerrier, je continue à m'entraîner dur pour garder un bon niveau, je sais très bien qu'un jour ou l'autre je devrais reprendre des combats, parce que l'aventure des espagnols à la cours anglaise aura mal tournée. Les récents événements autour de la reine le prouvait, à ce rythme là, nous ne serions plus en odeur de sainteté au bout d'un moment même si pour le moment, je me sentais bien ici, et que tout se passait plutôt bien avec la belle Jane Dormer. Mais aujourd'hui, je n'étais pas là pour parler d'elle, mais bien entendu pour récupérer une épée que j'avais confiée au forgeron. Elle était dans un était médiocre et il m'avait promis de lui redonner une seconde jeunesse et je le croyais sur parole. Alors que je rentrais dans le petit commerce, il y avait déjà du monde. J'attendrais patiemment que ces clients soient servis avant de m'enquérir de mon bien. C'est alors que je reconnus la jeune femme et sa suivante. Elle était protestante, n'est ce pas ? Son mari ne m'aimait guère, alors si elle m'avait reconnue, sans doute qu'elle ne m'aimait pas non plus alors que finalement, nous n'avions jamais eu à parler l'un avec l'autre, du moins pour le moment. En tout cas, elle fit fendre l'épée dans l'air, elle semblait légère, trop légère, ça ne devait pas être pour elle, ni pour son mari mais sans doute un cadeau pour son fils. Je ne disais donc rien, pour le moment.

Ce forgeron avait une excellente réputation auprès de tous les nobles. Nombreux étaient ceux qui venaient faire leurs commandes ici et personne n’avait été déçu par les objets que l’on recevait en retour. La duchesse de Devonshire savait que son fils serait heureux de recevoir sa première arme. L’enfant était en âge d’apprendre à devenir un homme, c’était ce que le couple Cavendish avait fini par conclure. Un jour, Henry serait duc et plus tôt il serait prêt, plus tôt cela serait le mieux pour lui. La charge était lourde et il valait mieux apprendre lentement, mais sûrement au jeune garçon, pour qu’il puisse s’habituer à tout cela.
Chez le forgeron, la duchesse de Devonshire n’était pas seule, il y avait bien sûr l’artisan, une suivant qui l’accompagnait lors de ses moindres déplacements, mais également un homme qui était arrivé peu après. Antanasya ne l’avait pas reconnu et si cela avait été le cas, elle aurait su qu’il était Espagnol et un homme que son mari détestait. La duchesse avait déjà entendu parler de Gomez Suarez, un proche du roi, un homme qui pouvait potentiellement être dangereux pour la cause protestante et pour l’équilibre précaire du pays. La duchesse ne fit pas attention aux traits hispaniques de l’homme et comme elle vit qu’il portait une épée, elle se tourna vers lui pour lui demander son avis. Après tout, tous les nobles étaient de fins connaisseurs en ce qui concernait les armes.

« Monsieur, dites-moi, je pense que vous êtes connaisseurs, pensez-vous que cette épée serait parfaite pour un jeune garçon, en âge d’apprendre ? » Elle posa cette question tout en montrant l’épée à l’homme et en ayant un large sourire aux lèvres.

La duchesse semblait être heureuse du travail du forgeron et ma foi, elle aurait tord de s'en plaindre. Si en Espagne nous en avions de très bon, j'avais été agréablement surpris de voir qu'ici aussi, il y avait des artisans de qualité, peut être même meilleur que dans mon pays natal. Elle admirait donc cette épée qui me semblait bien travailler quoique, elle semblait un peu légère toutefois. Mais ceci était normal, c'était une première épée pour une jeune garçon, autrement dit, il ne pouvait pas avoir une arme semblable à la mienne, ces bras ne le supporterait sans doute pas très longtemps, et cela lui ferait plus de mal que de bien. J'observais le spectacle avec un sourire amusé, mais je fus cependant étonné qu'elle me demande conseil. Elle ne m'avait pas reconnu assurément, même si elle devait me connaître de nom. Je n'avais pas forcément envie de faire une quelconque polémique ici, avec elle ou avec le forgeron d'ailleurs. Même si j'étais un guerrier dans l'âme, ici, j'étais un invité d'honneur, je préférais donc ne pas faire de vague. Elle me montra donc l'épée.

" Vous permettez que je la prenne en main quelques instants ? "

Je ne savais pas ce qu'elle allait me répondre, mais cela n'avait pas d'importance. Si elle ne voulait pas que je prenne l'épée en main, je lui donnerais un avis de visu, comme je le faisais parfois. Si je la prenais en main, je pourrais me faire une meilleure idée, même si je ne doutais pas un seul instant du travail du forgeron.

Antanasya n'était guère tolérante en ce qui concernait les Espagnols. Depuis leur arrivée en Angleterre, elle ne supportait pas leur présence et encore moins qu'ils s'immiscent dans les affaires anglaises, alors que cela ne les concernaient pas. Pour elle, le mariage de la reine, avec un prince espagnol était la pire erreur stratégique. Même si cela pouvait apporter une certaine stabilité face à la France, ce mariage n’apporterait que des problèmes, puisque la reine serait éternellement soumise à son mari et sûrement encline à le laisser prendre des décisions à sa place. Si la reine écoutait son mari, le pays finirait certainement dans la guerre. Heureusement, la grossesse royale ne semblait pas être propice à la naissance d’un nourrisson. Des fausses alertes prouvaient à tous que la reine n’était pas enceinte et qu’elle était la seule à le penser. D’ailleurs, il se murmurait même que le roi prévoyait déjà de repartir pour sa patrie.
Antanasya ne s’était pas doutée que la personne à qui elle venait de demander son avis à propos de l’épée de son fils serait un Espagnol. Quand elle l’entendit parler avec son accent hispanique, son sang fit un tour et elle n’avait qu’un seul désir, l’envoyer balader. L’homme lui proposa, suite à sa demande, de prendre en main l’épée.

« Bien sûr. » répondit la jeune femme alors qu’elle pensait qu’une seule chose, qu’il se coupa avec l’arme. « Qu'en pensez-vous ? » Alors qu’elle ne parlait que par politesse pour ne pas froisser l’homme et aussi de mettre dans une mauvaise posture son mari. William avait une place importante à la cour, elle ne souhaitait surtout pas le mettre à mal, alors que là où il se trouvait, il pouvait aider la cause protestante.

Il semblerait que ma pointe d'accent espagnol vienne de me trahir auprès de Miss Cavendish. Je ne savais pas si elle m'avait reconnue, mais elle avait reconnue un espagnol et elle ne les appréciait pas vraiment, puisque l'on pouvait dire que nous étions venus ici sans véritablement demander l'avis du peuple ou de la noblesse. Avec la présence du roi, nous nous étions en quelques sortes un peu imposé à leur présence. Mais cela ne me dérangeait pas. Je tentais de séduire une belle jeune femme, mais tout cela était bien compliqué, elle soufflait le chaud et le froid de par une présence irrégulière à mes côtés. Parfois, j'aurais espéré sa présence et elle n'était pas, et quand je ne m'y attendais pas forcément, elle était là. Compliqué donc, mais je ne pensais pas spécialement à elle pour le moment. Néanmoins, dans la situation actuelle, je n'allais pas me préoccuper de mes sentiments. Une gente dame avait besoin d'un conseil et même si elle ne m'appréciait pas, je pourrais le lui donner. Elle accepta donc que je prenne l'épée en main, chose que je faisais. Elle était légère, malléable, bien que trop petite pour une gabarit comme le mien. Pour une jeune garçon d'une dizaine d'année commençant à apprendre à s'en servir en revanche, elle était parfaite. Je souriais à la jeune femme.

" Elle me semble très bien équilibré pour votre fils. Vous ne devriez pas hésiter à la prendre. "

Et je lui rendais donc l'épée sans plus de cérémonie. Je me doutais qu'elle ne voudrait pas discuter trop longtemps, alors, je n'allais pas la retenir plus que cela. Je me doutais bien, qu'elle allait s'en aller promptement, mais peut être voudra-t-elle plus ? Je n'en savais rien, mais personnellement, cela ne me dérangeait pas le moins du monde.

L’épée de son fils était entre les mains expertes de l’homme, mais Antanasya se dégoutait de lui avoir demandé ce service depuis qu’elle avait entendu son accent espagnol. Personne ne le savait, elle le cachait tellement bien, mais Anya ne supportait pas cette présence espagnole à l’intérieur même de la cour et dans les plus hautes sphères du pouvoir. Pour elle, ils étaient dangereux. L’homme soupesa l’épée, la détailla et il conclut qu’elle serait parfaite pour son fils et qu’elle ne devait pas hésiter à la prendre. Engager une conversation avec l’homme lui déplaisait, mais la duchesse de Devonshire voulait en savoir plus sur cet homme, pour mieux savoir à quoi elle devait s’attendre de sa part.

« Vous appartenez à la cour du roi Philippe ? » Demanda-t-elle sur un ton curieux que l’on pouvait prêter à n’importe quelle femme de la cour qui aimait converser. « J’ai reconnu votre accent, mais je ne me souviens pas vous avoir vu à la cour, j’y suis beaucoup moins depuis quelques temps il faut dire, ce qui n’est pas le cas de mon mari, vous connaissez peut-être le duc de Devonshire. C’est mon époux. » Disait-elle tout en jouant parfaitement la comédie de la femme aimable ayant envie d’en apprendre plus sur son interlocuteur. A côté d’elle, ses serviteurs devaient se demander quelle mouche l’avait bien piqué, mais Anya s’en moquait bien. Autant questionner l’Espagnol, surtout si cela permettait d’avoir plus d’informations pouvait aider à leur cause.

Je venais donc de lui rendre l'épée. Elle m'avait demandé conseil à ce propos et je faisais en sorte de lui rendre ce fameux conseil, qui était positif vis à vis de l'instrument tranchant qui se trouvait à présent dans ces mains. Pourtant, je sentais que cela ne lui plaisait pas tant que ça, mon accent sans doute. Je ne saurais dire si elle faisait partie de ceux qui ne nous appréciait pas, mais elle se montra curieuse vis à vis de ma situation. Elle supposait pourtant bien des choses, sans doute m'avait-elle même vu quelques fois à la cours, en tout cas, je la connaissais, de loin, de très loin même, mais je l'avais déjà aperçue même si je connaissais mieux son mari qu'elle, ce qui me paraissait assez normal en fin de compte. Je lui souriais donc en hochant la tête de façon positive pour répondre à sa première question même si j'allais lui répondre de vive voix.

" Effectivement, je suis à la cours du roi. Il me semble vous avoir aperçu une ou deux fois, mais effectivement, je connais mieux votre mari le duc. C'est un homme très charmant. "

Je le savais depuis que j'étais ici, il fallait jouer sur les apparences. Je n'appréciais pas tellement le duc à vrai dire. Le savait-elle seulement ? Je ne pouvais le dire, car elle semblait intéressée par moi, parce ce que j'avais à lui dire, même si pour le moment, je ne disais pas grand chose. Après tout, je n'avais rien à lui dire, je ne me montrerais pas curieux, vis à vis d'elle. Si elle ne faisait pas la conversation, de conversation, il n'y aurait pas.

" Charmant ? Vous m'en direz tant ! " Répondit la jeune femme sur un ton plus qu'énigmatique. " Au vu de votre réponse, vous et mon mari n'êtes pas les meilleurs amis du monde. Vous a-t-il causé du tort, parfois il peut avoir très mauvais caractère. " Elle souriait pour se montrer charmante et bien sûr avoir l'homme dans sa poche. Son mari pouvait avoir mauvais caractère, mais Anya savait très bien que si les deux hommes étaient en animosité c'était bien parce que Gomez Suarez était Espagnol et que William ne les appréciait guère. Depuis que la reine avait eu l'intention d'épouser l'un d'entre eux, elle s'était tout de suite braquée à l'idée d'avoir des Espagnols à la cour, surtout que la mère de la reine en avait été une, avant d'épouser Henry VIII d'Angleterre. Cette présence ne pouvait qu'être nuisible pour les Anglais et elle avait poussé la reine à tuer et massacrer les siens.

" L'Espagne doit vous manquer, ici nous n'avons pas le même temps que par chez vous, on m'a beaucoup parlé que vous avez de radieux étés en Espagne, est-ce vrai ? " Par cette question très anodine, la duchesse de Devonshire espérait savoir si l'homme comptait partir un jour ou l'autre avec son roi. Après tout, Philippe de Habsbourg était un prince héritier, il n'allait pas rester indéfiniment en Angleterre, surtout pour se contenter seulement du rôle de roi consort.
La duchesse reprit l'épée de son fils des mains de l'homme, pour ne pas l'encombrer plus et elle la tendit à un serviteur qui se chargea de l'emballer, à son retour, Henry serait heureux de découvrir sa première arme de guerre.

Un homme charmant, voilà qui pouvait caractériser William Cavendish. Nous avions des idées assez contradictoires cela dit, mais je m'efforçais de ne pas trop cultiver de grief contre les autres. Bien entendu, je ne pouvais pas être apprécié de tous, mais je ne voulais pas paraître impoli avec son épouse même si celle-ci avait bien cru comprendre que l'entente n'était pas cordiale.

" Rassurez-vous, nous avons seulement des opinions divergents sur certains points, rien qui ne puisse être très grave. "

Enfin, tout cela est avant tout pour les apparences, parce que si son mari ne m'aimait parce que j'étais espagnol, il n'y avait pas de doutes à avoir la concernant elle. Elle n'appréciait pas non plus les espagnols. Mais elle faisait bonne figure néanmoins. Elle me demanda alors si l'Espagne ne me manquait pas parfois. Je pourrais lui mentir en lui disant que non, mais ce n'était pas le cas. Elle me parla du temps qu'il faisait dans mon pays natal en été.

" Il est vrai que nos étés sont plus chauds qu'ici. Si un jour vous en avez l'occasion, vous devriez le vérifier par vous même. "

Bien entendu, c'était une invitation implicite, mais j'étais persuadée qu'elle ne viendrait jamais, mieux vaut rester en Angleterre loin des envahisseurs que nous sommes, n'est ce pas ?

Cela avait inquiété la duchesse de Devonshire de savoir que son époux n’était pas en très bon terme avec un Espagnol, qui plus est un conseiller et un ami du roi consort Philippe. La jeune femme avait essayé de montrer un ton détaché à propos de ce point, mais elle n’était pas certaine que cela ait fonctionné. Pour elle, William devait être le loup blanc, celui qui devait conserver une image positive auprès de tous et quant à elle, elle devait se montrer plus détachée pour pouvoir continuer ses actions clandestines. Si William était en mauvais terme avec un Espagnol, cela pouvait leur causer des ennuis et surtout les conduire à leur perte.

« Je suis ravie de savoir que cela vient d’un petit différent, mon époux a son caractère, mais il est loin d’être un mauvais homme. Il n’a pas beaucoup d’ennemi. » Disait-elle sur un ton neutre, évoquant ce détail avec beaucoup de banalité.

L’homme était Espagnol et Antanasya voulait plus que jamais, voir ces personnes retourner dans leur pays pour ne plus jamais y revenir. Ils ne méritaient pas d’être présents en Angleterre et en pensé, Anya espérait que les hivers rigoureux de l’Angleterre les poussent à partir.

« Je n’aime guère la chaleur malheureusement, le climat anglais est celui qui me réussit le mieux, même si je serai curieuse de découvrir vos palais espagnols, on raconte que certains datent encore de l’occupation musulmane et ils seraient de vrais merveilles. » Ajouta la jeune femme qui n’en revenait pas de faire la conversation avec un Espagnol, un homme qui devrait être son ennemi juré, mais pour la bonne cause, la jeune femme serait prête à n’importe quoi.