Lyra sentit son ventre se nouer, lorsqu'elle parvint devant la maison. Elle la balaya du regard, détaillant pour elle seule, chaque aspect du mur de façade. Une petite corniche était placée au dessus ce qui était sans doute la porte d'entrée, et un heurtoir en forme de lion était fixé sur cette dernière. Cette maison était désormais la sienne. Bien sûr il y avait sa belle soeur qui était la propriétaire légitime. Selon la loi, Lyra n'aurait jamais dû hériter ou même franchir la grille au lierre grimpant de la demeure. Lyra Vaughn était morte pour tous, dans un incendie. Elle ne connaissait pas encore celle qui avait partagé pendant des années la vie de son frère Arthur, mais cette dernière avait déjà toute sa reconnaissance. L'ancienne chanteuse espérait qu'elles puissent bien s'entendre.
Ce que Lyra connaissait de sa belle soeur Lucrezia était en réalité, peu de choses. Elle n'avait elle-même que peu connu son propre frère, puisqu'elle était la dernière de la fratrie. Celle qui jouait encore aux poupées en chiffon, tandis que les autres convolaient en justes noces. Elle n'avait pas noué de fortes relations avec sa famille, elle avait toujours senti au fond d'elle-même, qu'ils la jalousaient, tous autant qu'ils étaient. Sans doute, parce qu'étant née sur le tard, et étant considérée comme un petit miracle de fertilité tandis que sa mère approchait de la quarantaine, on l'avait choyée de peur qu'elle ne meure. Les matrones qui avaient accouché sa mère, avaient toujours trouvé Lyra pâlotte et un peu chétive durant les premiers mois. Mais en vérité, elle avait été sans doute la plus en chair de sa famille au cours de son enfance. Il lui restait d'ailleurs, un aspect particulièrement poupon de cette époque et de belles formes étaient venues agrémentées son physique.
Alors si Lyra sentait ses entrailles se tordre en elle, c'était bien par regret. Regret de n'avoir pas assez connu son frère et la souffrance bien sûr de l'avoir perdu, il restait son sang. Apprendre son décès par un courrier de Lucrezia, avait été particulièrement douloureux. Mais ce n'était pas tout, malgré toute la gratitude que Lyra avait pour sa belle soeur de la laisser vivre dans cette maison, elle n'était pas rassurée. La jeune femme n'avait pas fait dans la dentelle pour avoir des réponses à ses questions. Elle avait été jusqu'à acheter un domestique de Pryam, domestique qui d'ailleurs le lui paierait cher sous peu, pour connaître la vérité à son sujet. Et Lucrezia avait non seulement remonté la piste jusqu'à savoir qu'elle n'était donc pas morte, mais qui plus est, jusqu'à savoir où la joindre. Un tel secret dans les mains d'une parfaite inconnue ne pouvait pas calmer Lyra, dans ses appréhensions. Lucrezia voulait-elle quelque chose en échange de sa générosité ? A vivre en contact permanent avec un ambitieux et un conspirateur durant des années, développent une certaine paranoïa. Lyra ne se souvenait pas d'avoir été naïve un jour, mais il est certain qu'elle n'était plus idéaliste. On donne jamais rien sans demander quelque chose. C'était une leçon de vie qu'elle avait durement apprise, le monde du spectacle et celui de la politique étant de bons terrains pour apprendre ça. On ne vous fait jamais de cadeaux.
Alors, aujourd'hui, est-ce que cela serait différent avec Lucrezia, pour la seule raison qu'elle était espagnole et non anglaise ? Qu'elle n'avait pas forcément des attentes particulières concernant le pays. S'il s'agissait de lui rendre un service, Lyra n'était pas ingrate et l'aiderait bien entendu, mais elle espérait en un geste sans demande de retour. Si Lyra décidait de l'aider en quoi que ce soit, pour lui démontrer sa gratitude, elle voulait que cela vienne d'elle-même et que Lucrezia ne lui réclame rien. Elle allait pouvoir en juger dans l'heure. Lyra s'avança vers la porte et frappa trois petits coups. Dans quelques instants, elle allait pouvoir mettre un visage sur le nom de Lucrezia Vaughn. Elle lui avait bien sûr laissé l'honneur d'ouvrir la maison, puisque Lucrezia en avait la clef. Elle arrivait pratiquement en simple visiteuse.