Les jours s’écoulaient lentement, trop lentement selon Elizabeth qui dans peu de temps allé fêter son anniversaire. Ce jour, qu’elle redoutait plus que tout s’annonçait maussade, surtout que Mary n’avait toujours pas daigné lui accorder une audience. La jeune femme qui allait avoir ses vingt printemps voulait à tout prix quitter Whitehall Palace et fuir cette épée de Damoclès qui se trouvait chaque jour au-dessus de sa tête. Partir et laisser ce danger derrière elle, retourner sur ses terres d’Hatfield, Elizabeth ne demandait rien d’autre, à part que sa sœur accepte son pardon. Qu’elle avait pu être idiote en refusant d’assister à cette messe catholique en l’honneur d’Edouard, aujourd’hui en raison de cette faute, elle risquait d’être enfermée à la Tour pour trahison. La jeune femme les voyait tous ces regards la scruter, attendant le moindre faux pas, une toute petite faute pour la condamner à jamais. Elle était la menace, un nouveau moyen pour le clan de la réforme de revenir aux sommets. Cependant, Elizabeth se le refusait, Mary était sa sœur et s’était, elle l’héritière du trône anglais, pas Jane Grey, ni personne d’autre.
Ce matin-là, Elizabeth ne pouvait trouver le sommeil, quitta rapidement ses appartements après un maigre petit déjeuner, elle sortit dehors, profitant d’une matinée où l’air était humide, mais où le soleil tentait de montrer le bout de son nez. La jeune femme, non sans la surveillance d’un garde à ses côtés, fit quelques pas dans les jardins, profitant de la solitude pour réfléchir à sa situation quelque peu compliqué. Tout ce qu’elle espérait, c’était que Mary accepta une audience, là à ce moment. Puis la bâtarde anglaise décida de faire un petit tour par les écuries pour nourrir elle-même sa jument. C’était connu, le cheval et les anglais, c’était une véritable philosophie et la jeune femme adorait prendre soin de ses chevaux. En entrant dans les immenses écuries du palais, elle salua les palefreniers et elle alla chercher une pomme et une brosse pour son cheval. Elle le savait Freiya était déjà parfaitement brossée et propre, mais cela ferait l’illusion.
Elle s’approcha du box et déposa un baiser sur la tête du cheval, puis elle commença à s’occuper de lui. Puis alors qu’elle était concentrée sur son activité, elle entendit du bruit venant d’un box un peu plus loin. Elizabeth en sortit et découvrit Katherine Grey, sa jeune cousine.

« Bonjour Katherine, je vois que vous êtes aussi matinale que moi. » Disait-elle tout en souriant. « Vous paraissez bien pâle, tout va bien ? » Ajouta inquiète en découvrant le visage de la jeune fille.

Ses yeux portaient les larmes de la douleur, c’était indéniable et cela n’échappa à Elizabeth. Katherine était sa jeune cousine, de sept ans sa cadette, c’était une jeune fille jolie comme un cœur, arborant un visage de poupée de porcelaine. Ses longs cheveux étaient blonds et contrastaient avec le roux que portait la princesse. Elle était jeune et pourtant, elle avait vécu de nombreux malheurs, même si elle avait eu une mère, on ne pouvait pas dire que Frances Brandon soit la plus tendre des femmes. Elizabeth appréciait beaucoup ses cousines, que cela soit Katherine ou encore Mary, un peu moins Jane, puisque c’était elle qui était devenue reine à la place de Mary Tudor, mais cela la rousse ne pouvait pas trop lui en vouloir, elle n’avait été que le pantin de ses ainés. La blonde la salua humblement, comme son rang le devait et lui expliqua qu’elle n’arrivait plus à dormir, ainsi elle était donc aussi troublée qu’elle-même.

« Les animaux sont de bien plus fidèles amis que les hommes, je venais rendre aussi visite à la mienne. » Disait-elle tout en désignant le box où se trouvait sa jument.

Elizabeth ne put s’empêcher de remarquer la petite larme qui coulait le long de la joue de sa cousine. A sa question, la blonde évoqua ses malheurs, son mariage, son père qui se trouvait en prison… Avec beaucoup de sollicitude, elle s’approcha aux côtés de Katherine et la prit tendrement dans ses bras, comme une grande sœur l’aurait fait. Elle aurait tellement voulu que Mary ait ce genre de fraternité avec elle.

« Séchez vos larmes Katherine, votre père ne tardera pas à sortir de la Tour, votre mère plaide beaucoup en sa faveur et au nom de son amitié de toujours avec la reine, je pense que ma sœur donnera son accord pour une sortie. » Disait-elle d’un ton doux et avec un léger sourire aux lèvres.

Elizabeth se détacha de sa cousine et découvrit la belle jument de cette dernière, elle approcha sa main en direction de cette dernière et la caressa. L’animal était magnifique, digne d’une princesse, c’était vraiment un très beau cadeau qu’avait reçu Katherine. Cela était normal, pendant un temps les filles Grey avaient reçu un bien meilleur niveau de vie que les filles d’Henry VIII et leur père Henry Grey les aimait tellement, cette jument devait probablement être un cadeau qu’il avait fait à sa fille. Elle se tourna vers la blondinette, quand celle-ci, lui fit remarquer qu’elle avait une bien meilleure mine. Ce n’était qu’un masque, un visage que la princesse portait en public et devant toute autre personne qu’elle-même, jamais elle ne voudrait leur montrer à tous la sombre vérité de ses sentiments.

« Ce n’est qu’un masque ma chère cousine, qu’un simple masque, mon cœur est tout aussi troublé que le vôtre. »

Katherine ne cessait de se couvrir en compliment, Elizabeth se demandait par moment si sa cousine était réellement sincère, mais elle ne voulait pas douter d’elle, la jolie blonde avait tellement souffert. Cependant, Liz avait tendance à se méfier de tout le monde tellement qu’elle craignait pour sa vie et d’après les préceptes de sa chère gouvernante, il faut toujours se méfier de l’eau qui dort. Le regard de sa cousine tomba sur sa jument et Katherine la trouva superbe. Elizabeth ne put s’empêcher de sourire tristement, ce cheval était l’un des derniers cadeaux que lui avait fait le roi son frère, elle la chérissait tendrement en sa mémoire. Edouard avait toujours été si gentil avec elle, même quand il avait plus de pouvoir, cependant, dans les lettres qu’elle pouvait recevoir de lui, elle ne pouvait que remarquer, quelles étaient écrites d’une autre main que celle de son frère.

« Oui c’était un cadeau du roi, il s’est toujours montré généreux envers notre famille de son vivant. » Disait-elle le regard voilé par la tristesse.

Katherine avait peur, peur que Mary Tudor n’envoie d’une simple signature Henry Grey à la mort, c’était légitime, à sa place, la rousse craindrait autant ce funeste châtiment. Frances Brandon plaidait en faveur de son mari pour tenter de le faire sortir de la Tour, elle était une lointaine amie de la reine, cela pouvait marcher. D’ailleurs, si Frances et ses filles n’avaient pas été aussi envoyées à la Tour, c’était bien grâce à cette amitié et comme Henry n’avait pas trop fait de dégât, il pouvait s’en sortir.

« Katherine, je ne pense vraiment pas que la reine ma sœur va condamner votre mère, ses actions sont minimes par rapport à celle de lord Dudley, lui méritait de perdre sa tête plus que quiconque. » Disait-elle tout en posant sa main en signe de réconfort sur l’épaule de sa cousine.

La jolie blonde se détourna un peu d’elle pour nourrir sa jument, avec un sourire bienveillant, Elizabeth la regarda faire. Si seulement elle n’avait pas été l’instrument de la quête d’ambition de ses parents, pauvre enfant, mariée si tôt. Si cela lui était arrivé, jamais la bâtarde n’aurait pu le supporter, depuis plusieurs années, elle le savait, jamais elle ne se marierait. Les hommes étaient trop vils et quand une femme se retrouvait mariée, elle se devait d’être soumise à son mari. Aujourd’hui, la seule autorité à laquelle elle se doit d’obéir, c’est à la reine et si un jour elle venait à monter sur le trône, elle ne s’encombrerait pas d’un roi, même si tout le monde souhaiterait la pousser en ce sens. Katherine recherchait sa confidence, un instant la plus âgée hésita, mais elle préféra dévoiler quelques brides de ses pensées.

« Chaque jour je me sens en danger ici, les regards me traquent à la recherche d’un moindre défaut, je le sais Mary ne m’aime pas et j’ai peur que si un jour on ne lui rapporte un quelconque faux complot que je ne sois perdue. »

Méfiance et trouble étreignait la princesse bâtarde qu’était Elizabeth. Sa cousine était des plus aimables, mais la jeune femme craignait à une traîtrise, après tout Katherine pourrait très bien échanger sa vie pour récupérer son père ou encore sa sœur, même si pour ce dernier cas, la rousse doutait vraiment que Mary ne fasse sortir Jane de prison. La jolie blonde paraissait cependant sincère, avec une douceur qui gênait Elizabeth, si bien qu’elle était partagée entre le doute, la crainte de se faire piéger et la tranquillité. Elle retourna, tout en conversant avec Katherine s’occuper de sa jument, qui attendait avec impatience du pain noir. Elizabeth ouvrit en grand sa main et l’animal vint délicatement prendre son bien. Cependant bientôt, alors qu’elle caressait la crinière de la bête, elle entendit des paroles qui lui touchèrent le cœur.

 « Je vous remercie Katherine pour votre sollicitude. » Disait-elle d’une voix douce.
Puis ensuite, Katherine évoqua le fait qu’elle vivait aussi dans la peur du prochain, elle partageait ses sentiments sur les nombreux complots qui les entouraient. Ainsi donc, les deux jeunes femmes n’étaient pas si différentes. Mary Tudor, la souveraine d’Angleterre menait donc sa cour d’une main de fer. En effet, les deux dernières filles du traître Henry Grey étaient devenues ses pupilles, ainsi elle avait entre ses mains tous les Grey. Elizabeth le savait, derrière tout cela se cachait surtout les espagnols, elle pensait même que si elle n’avait pas été incriminé, c’était à cause d’eux, qui voulait la marié avec un prince provenant d’une contrée qui n’était pas la sienne. La jeune femme ne souhaitait certainement pas être mariée et ne voulait surtout pas quitter sa terre natale, elle aimait l’Angleterre et ne voulait pas en partir. Le pays de la rose était le sien et sous aucuns prétextes, elle partirait, même si pour cela, elle devrait supplier Mary.

 « Oui nous pourrions nous entraider et nous soutenir face à cela, après tout à deux on est toujours plus fort.  Katherine, si un jour vous avez le moindre problème contactez moi, je ne sais si je pourrais vous aider, mais je pourrais toujours tentée de faire quelque chose. » Lui répondit-elle sincèrement.

 Les écuries n’étaient pas particulièrement animées en ce jour, mais par moment quelques palefreniers passaient par là pour s’occuper des chevaux royaux, pour les nourrir où bien nettoyer leurs boxes. Ainsi la princesse faisait en sorte de ne pas parler trop fort, pour rendre le discours inaudibles pour les différentes personnes qui passaient.

 « Oui Katherine, cependant les années que je prendrais ne changeront pas le fait que je serais toujours une menace pour ma sœur. »

C’était il y a fort longtemps que la vie d’Elizabeth avait basculé, alors qu’elle n’avait même pas trois ans. A cette époque, en l’année 1536, elle se sentait comme étant la petite fille la plus aimée du monde, une petite princesse que son père et sa mère affectionnait particulièrement. Elle avait un bon château et de nombreuses personnes qui s’occupaient d’elle, comme lady Bryan. Elle ne manquait de rien, était nourri comme une enfant de son âge, elle avait de nouveaux vêtements tous les jours, on lui apprenait quelques rudiments intellectuels adaptés à ses deux ans et surtout, elle avait son rang de princesse Elizabeth. A cette époque, sa mère bataillait déjà pour la fiancer à un prince, lequel ? N’importe, le temps qu’il soit français ou espagnol, cela aurait fait l’affaire. Durant cette courte vie tout était parfait et cette princesse était la plus heureuse. Puis arriva le temps des chagrins, celui de la déchéance. Du jour au lendemain, elle n’était plus rien qu’une bâtarde, une fille de rien et là la peine emplie le cœur d’Elizabeth. Elle n’avait plus sa mère qui la rendait visite et encore moins son père qui l’avait renié. De princesse heureuse, elle passa à bâtarde malheureuse. Elle avait toujours son domaine, mais son train de vie et sa maison avaient été réduits à presque rien. Le régisseur avait tenté d’imposer sa loi, mais heureusement Cromwell avait calmé ses ambitions. Pendant plusieurs années, Elizabeth était comme dans l’oubli, jusqu’à ce qu’un jour, on l’éleva en compagnie de l’héritier de la couronne, son demi-frère Edouard. A partir de ce moment-là, elle commença à retrouver son rang, sans pour autant redevenir une princesse, pour tous, elle n’était que lady Elizabeth, pour d’autres, la fille de la putain.
Quand elle regardait Katherine Grey, Elizabeth ne pouvait que comparer leurs vies, qui même si elles n’étaient pas similaires, comprenaient leurs mêmes lots de souffrances.

« Katherine, vous n’êtes qu’une fille de traître parce qu’on vous en donne le surnom, mais avant tout, vous avez le sang des Tudor qui coule dans vos veines, ne l’oubliez jamais. Quand on me qualifiait de bâtarde, de fille de catin, je me suis toujours souvenu que j’étais avant tout la fille d’Henry VIII, même si lui-même le reniait. N’oublions jamais nos origines Katherine, elles font de nous ce que nous sommes maintenant. » Disait Elizabeth avec beaucoup de sagesse.

Katherine vint la rejoindre à nouveau et les deux cousines étaient côte à côte, plus proches que jamais, alors qu’auparavant leur destin les tenait éloigné. Avant les sœurs Grey avaient un train de vie beaucoup plus prestigieux qu’Elizabeth et même Mary, d’ailleurs la jolie rousse n’était presque jamais à la cour, ce qui faisait qu’elle n’avait jamais réellement fait connaissance avec ses cousins et cousines. Mais aujourd’hui, alors qu’elle se trouvait dans sa cage dorée, elle comptait bien faire plus ample connaissance avec Katherine et Mary, mais surtout être avec elles de proches amies. La jolie blonde trouvait d’ailleurs qu’il soit triste que Mary Tudor n’ait peu confiance en sa sœur, mais ainsi était la vie, les deux sœurs étaient unies par le nom, mais certainement pas par le cœur.

« Le passé à fait de notre relation ce qu’elle est aujourd’hui, je le regrette beaucoup, mais je ne peux rien faire contre cela. J’espère cependant un jour gagner son respect et non plus la haine. » Continuait-elle d’une voix triste.

Il n’y avait pas eu plus désunis que la famille Tudor et la source de tout cela était certainement Henry VIII d’Angleterre. En voulant à tout prix assouvir sa quête d’héritiers, il avait provoqué l’ambition de certains. A la mort de ce roi, Edouard son fils était trop jeune, alors qu’il avait deux filles, Mary et Elizabeth qui auraient très bien pu s’occuper de la couronne anglaise, surtout l’ainée. Or, les choses n’ont pas été ainsi, les Seymour avaient fini par contrôler le jeune roi, puis plus tard la famille Dudley. Entre temps, les Grey et les Stuart s’étaient eux aussi mis à prétendre à la couronne anglaise. Le pouvoir faisait rêver beaucoup, mais il mettait en péril la stabilité du pays. Il y avait donc eu inévitablement une guerre, légère, mais elle avait conduit l’Angleterre à être divisé en deux camps, celui de Mary et celui des Dudley. Par chance pour la couronne, c’était Mary qui avait vaincu, mais aujourd’hui, même si elle était la reine légitime, beaucoup complotés dans son dos pour récupérer le trône. Elizabeth était l’un des pions sur l’échiquier de tous ses ambitieux, fille d’Henry VIII, la jeune lady pourrait contracter un mariage et ainsi faire de son époux un roi. Ces choses, elle en avait eu connaissance grâce à plusieurs nobles et conseillers de la reine qui étaient venus l’interroger sur ce fait. Cependant, Elizabeth n’était pas prête à trahir sa sœur et certainement pas pour offrir la couronne à une personne qui ne la méritait pas, elle se battrait pour qu’on ne lui donne pas le destin implacable d’être une épouse, puis plus tard une mère pour construire une autre dynastie.

« J’espère que ces mots pourront vous apporter tout le réconfort dont vous avez besoin. Je n’ai peut-être pas le pouvoir de faire changer les choses, après tout je ne suis qu’une bâtarde pour beaucoup, mais je peux au moins essayé de vous aider. » Disait-elle d’une voix douce.

Katherine devait être rancunière de cette vie et de tout ce qui avait pu lui arriver, après tout à l’âge de douze ans elle avait été marié, alors qu’Elizabeth à bientôt vingt ans ne l’était pas, la vie pouvait être injuste avec les femmes de la noblesse, puisque c’était toujours elles qui payaient pour les erreurs de leurs parents ou époux. La jeune lady pouvait comprendre la colère de la blonde envers Mary, mais bien avant elle, la reine d’Angleterre avait beaucoup souffert, notamment de la séparation avec sa mère Catherine d’Aragon qu’elle n’avait jamais pu revoir, ce souvenir devait encore à ce jour hanter Mary Tudor, tout comme pour Elizabeth qui avait été marqué par la décapitation de sa propre mère.

« N’en voulait pas à notre souveraine Katherine, elle a eu beaucoup d’épreuve elle aussi, c’est ce qui fait qu’elle est comme ça aujourd’hui. Un jour peut-être que son cœur s’adoucira pour nous tous. » Ajouta la jeune femme à l’encontre de sa cousine.