Estien Balmore

" Cuiridh mi clach air do chàrn " TON PERSONNAGE PRÉNOM & NOM ♦ Estien Balmore AGE ♦ 25 ans. DATE DE NAISSANCE ♦ 11 février 1529. ORIGINE ♦ Écossaise. SITUATION FAMILIALE ♦ Seul. MÉTIER ♦ Croque-mort. GROUPE ♦ Peuple anglais. CRÉDITS ♦ Moi-même. LE JOUEUR PSEUDO ♦ Estien. AGE ♦ 29 ans. OU AS-TU CONNU LE FORUM? ♦ Sur les partenaires d’un autre forum. TON AVATAR ♦ Jonny Lee Miller. VOTRE PERSONNAGE EST-IL HISTORIQUE OU FICTIF? ♦ Fictif. VOULEZ-VOUS ÊTRE PARRAINÉ? ♦ Pourquoi pas.

▬ QUELLE EST VOTRE RELIGION ET QUE PENSEZ-VOUS DES CHANGEMENTS RELIGIEUX DU PAYS? ♦
De culture catholique, c’est la religion que je professe, et il m’est agréable de la voir officialisée ; cela me simplifie grandement l’existence. Cependant, j’avoue ne pas nourrir un sentiment religieux très affirmé. C’est bien pour cela que je n’ai aucun scrupule à profaner les tombeaux, et aucune crainte d’être hanté ; je ne crois même pas à la vie après la mort. La religion est une peste noire, une entrave à l’art et à l’invention, mais je suppose qu’il faut bien vivre avec, étant donné le réconfort supérieur qu’elle semble apporter à la grande majorité de la population. Malgré moi, je rêve d’intégrer une couche de la société où ce ne serait pas le cas, où les dirigeants de l’Eglise s’ouvriraient librement et avoueraient leur vaste mensonge, et où l’on pourrait enfin se consacrer à ce qui élève réellement ce qui nous sert d’âme : la peinture, la musique, la poésie, la reconstitution des connaissances scientifiques des Anciens… C’est mon idéal inatteignable, c’est là ma religion. Ceux à qui j’en parle l’appellent la folie des grandeurs. Car naturellement, je n’appartiens même pas à la petite bourgeoisie.
Quant à mes propres funérailles, comme dit la chanson :
You may bury me with an enemy in mount calvary
You can stack me on a pyre and soak me down with whiskey…

▬ QUE PENSEZ-VOUS DE LA NOUVELLE REINE D'ANGLETERRE? ♦
Je l’ai dit, je suis catholique de naissance, mes proches le sont, et j’ai la faiblesse de tenir à quelques-uns d’entre eux. Une reine qui garantit leur sûreté est une reine pour laquelle j’ai de la sympathie, c’est irrationnel et sentimental mais c’est aussi simple que cela. Néanmoins, j’ai aussi des raisons plus stratégiques d’apprécier sa venue au pouvoir. Les grands royaumes d’Europe sont catholiques ; une alliance avec eux garantit une paix durable. Ironiquement, je suis favorable à la philosophie de la Réforme, à sa façon de voir l’ordre du monde, mais tout comme je suis favorable à l’humanisme d’un Saint François d’Assise ou à l’intelligence de l’âme d’un Saint Augustin ; j’apprécie les idées, je me méfie des systèmes. En tant que système émergent, encore marginal et mal établi, le protestantisme était une menace pour notre royaume, et le catholicisme l’en sauve. J’apprécierais plus que tout une reine catholique qui saurait s’inspirer, pour régner, de ce que le protestantisme a de meilleur, et prendrait par exemple quelques conseillers protestants pour gérer au mieux les diverses communautés de son royaume. Et pourquoi pas juifs également, il faut trois pieds pour stabiliser un tabouret.

▬ QUE PENSEZ-VOUS DE JANE GREY? ♦
Pas grand-chose, je l’avoue. Elle n’existe plus à mes yeux, j’espère simplement qu’elle ne va pas servir de prétexte pour une guerre civile, et si je m’aperçois qu’un interlocuteur appartient à sa bande de fanatiques assoiffés de sang, je ne manque pas de leur demander si cette sainte femme, dans son amour de la « vraie religion », se satisferait de les voir mettre le feu au royaume en son nom. Mais si cela suffisait à les apaiser, ça se saurait… Aussi, je n’insiste généralement pas. Je me contente de mettre leurs défunts en terre, discrètement, sans m’élever au-dessus de ma condition, et selon le rite de leur choix.
Ceci posé, je ne lui veux aucun mal, à la pauvre femme. Je serais bien le premier à dissimuler chez moi l’un de ses partisans en quête d’un abri, ou même à la tirer de sa geôle si j’en avais la possibilité par miracle. Mais à une condition : qu’on n’entende plus jamais parler d’elle, et que ce royaume n’ait qu’un seul et même maître pour les cent années à venir.

▬ AGISSEZ-VOUS DANS L'OMBRE POUR VOTRE CAUSE OU VOTRE FOI, SI OUI QUE SERIEZ-VOUS PRÊT A FAIRE ? ♦
Là, on parle de ma vraie foi : la vérité, le soleil hors de la caverne, l’élévation de l’esprit. Je n’agis pas dans l’ombre, au sens où je n’appartiens à aucun ordre ou société secrète et n’ai pris aucun engagement particulier, mis à part envers moi-même. Je risque ma vie, ma santé – et mon âme, diront certains – pour profaner les sépultures, détourner les corps et approvisionner les instances qui en éprouvent le besoin ; je prends le risque d’être incarcéré et soumis à toutes sortes de tourments terrestres, je fais également concurrence aux redoutables « résurrectionnistes », qui n’hésitent pas à tuer, dans les quartiers les plus pauvres, pour créer des cadavres répondant précisément aux besoins de leurs clients. Ce ne sont pas des enfants de chœur et, en plus de leur voler le pain de la bouche, je n’hésite pas à les dénoncer à la garde pour m’en faire bien voir, ce qui accroît encore leur ressentiment.

« Nous, le peuple des confins,

nous, les derniers hommes libres »

Chapitre Premier : la Caverne De son enfance, Estien se remémore une grosse ferme riche de moutons et de chevaux, sur la lande écossaise parcourue de frissons argentés. Un clan familial solide, un maréchal-ferrand dont les accents métalliques évoquaient les contrées lointaines, un frère parti en mer et jamais revenu. Le collier de barbe de son père qui lui piquait les joues, l’interminable crinière de barde celtique qui chutait de sa calvitie frontale, comme une cascade de neige dorée par le soleil rasant. A table, on parlait le français et le gaélique, avec une grande fierté. Depuis toujours, sa famille prenait part aux grandes batailles dont résonnait l’appel lointain, pour défendre l’un des royaumes alliés, celui du Nord ou celui du Sud. C’est de là que venait sa mère, avec son oncle Thaniel, un flamboyant jeune guerrier latin au sang chaud et à la barbiche pointue, qui évoquait le diable des livres d’images saintes. Estien leur devait ses beaux yeux noirs, en réalité d’un bleu très sombre.

Il se souvient très vaguement d’un tel regard, noir et brûlant, posé sur lui dans les nuits froides, de mains caressantes, de secrets chuchotés. Il se souvient surtout d’un jour où la troupe de comédiens religieux passa pour présenter ses Mystères, à grand renfort de tours de magie et d’effets de lumière, et certains sur le domaine trouvaient qu’on n’aurait pas dû leur donner l’asile ; mais son père affirmait que tous les catholiques devaient s’entraider, fussent-ils d’Egypte ou d’Ecosse, ou de quelques confins du monde que ce soit. Il leur versa une belle somme pour leur représentation. Aux yeux du jeune Estien, son père était un seigneur. Mais ce soir-là il prit une décision qui changerait le cours de sa vie. Dans la troupe, il y avait une petite demoiselle blonde aux airs angéliques, et il comptait sur cet ange pour parler en son nom, le faire accepter à bord ; il s’enfuit par la fenêtre de sa chambre, alla se cacher dans l’un des chariots, parmi les éléments de décor aux couleurs tapageuses, même en pleine nuit ; et au lendemain matin, lorsqu’il se montra, la caravane était déjà bien loin de la ferme, sur la route du Sud, de l’Angleterre.

Marcine, la petite fille blonde, fut la première à le voir, et au lieu d’avertir les conducteurs, elle se glissa auprès de lui pour l’interroger. Il assura qu’il était venu de son plein gré, qu’il voulait rester avec elle et apprendre le métier de comédien. Et comme il l’avait espéré, elle intercéda auprès de ses parents et du chef de la compagnie. Celui-ci ordonna qu’on passe la frontière sans perdre une seconde, sans s’arrêter en route pour donner les représentations prévues. Certainement, on les accuserait d’avoir volé l’enfant, et leur châtiment serait terrible. Estien avait du mal à savoir s’il parlait sérieusement, ou s’il était resté prisonnier de son rôle tonitruant du roi Hérode. Toujours est-il qu’à dater de ce moment, il fut adopté par les forains, et fit partie de leur numéro. C’était un grand gringalet aux longues jambes, aux grands yeux, expressif et vulnérable, et il portait désormais la honte éternelle d’avoir fait défaut à son père adoré ; il prit le surnom de Judas de Barbarie, et dès lors, il joua les méchants, les traîtres, les victimes de la colère de Dieu.

Chapitre Second : l’Escalade Pendant quelques années, le jeu fut son ordinaire, et ce n’était pas un jeu d’enfant. Son corps s’endurcit à l’effort, s’aguerrit aux rigueurs de la route, son esprit se cuirassa contre les insultes et les menaces des inconnus. Quant à sa part des gains, il la dépensait entièrement en livres, et en cadeaux pour Marcine, qu’il ne quittait plus ; un Judas avec un Ange, cela faisait bien rire la troupe, qui ne soupçonnait pas ces enfants d’en être déjà à l’âge des jeux interdits. Marcine aimait particulièrement le faire boire, elle paraissait trouver cela d’un charme fou. Là encore, il garde un souvenir flou de ses yeux qui le couvaient de leur lumière vacillante, alors qu’elle enjambait dans un rire de ravissement son corps cloué au lit par l’alcool et les herbes qu’elle y plaçait. Le souvenir d’une accablante faiblesse, d’une gêne indéfinissable, alors que son corps prenait de toute évidence un réel plaisir aux activités pratiquées sur sa personne.

Il la regardait ensuite, au grand soleil de la place, jouer à la poupée avec d’innocents refrains sur ses lèvres roses, en se prétendant petite maman ; et il se sentait infiniment mal, parfois au point de devoir s’isoler pour rendre son repas. C’est alors qu’eut lieu l’accident de scène. Judas de Barbarie devait être pendu en grande pompe à la fin de la représentation, en châtiment de ses crimes odieux contre le Ciel et les hommes ; la routine. Mais le nœud coulant prévu pour épargner l’acteur se resserra complètement sur sa nuque, qu’il sentit craquer. Il crut que c’en était fini, mais ses camarades eurent la présence d’esprit d’interrompre la représentation, et de le détacher pour le ranimer, au grand déplaisir des badauds ; on leur jeta suffisamment de légumes pour faire de la soupe pendant une semaine. Personne ne fut puni, car c’est Judas lui-même qui avait préparé la corde. Mais l’incident lui inspira une question : s’il était bien mort, qu’aurait-on fait de son corps ? L’aurait-on restitué à sa famille ?

On lui répondit que non. Les comédiens restant, par tradition, sans sépulture chrétienne, on avait coutume dans cette troupe de remettre leur cadavre à un artiste, à une personne souhaitant pratiquer sur le corps de ses semblables des opérations que la loi réprouve. C’était lucratif, subversif, utile à l’art, et on ne peut plus logique. Judas parut soulagé de l’apprendre. Il ignorait que cette pratique existât, et demanda à ce qu’on lui présente une personne ayant déjà bénéficié de cet apport clandestin de leur part, afin d’en bavarder avec elle. La troupe passait alors à Londres, et on le mena bien volontiers au domicile d’un jeune médecin étranger, aimable créature douce et paisible, qui acheva de le convaincre en lui racontant combien de patients il avait soigné durant les cinq dernières années, grâce aux précieuses connaissances amassées en disséquant les corps. Judas éprouva pour cet homme une vive amitié, et en vint à souhaiter que son cadavre lui revienne. Marcine, jalouse des éloges dont il ne tarissait plus, eut l’idée de servir un peu de son vin d’herbes au candide praticien, et donna rendez-vous chez lui à son camarade de scène ; à son arrivée, Judas la vit, triomphante, pratiquant des actes obscènes sur le corps inanimé de son ami. Lui-même était cette fois pleinement lucide, et en conçut une colère sans bornes.

A son réveil, Florin Bergsen s’aperçut que son ami lui avait apporté un présent : une prostituée vilainement mise à mort. Elle avait le visage brûlé, les cheveux rasés, une lanière de peau arrachée, et le dos brisé si violemment qu’il y manquait une vertèbre. Judas s’était sali les mains en lui apportant ce sinistre fardeau, mais il y tenait : il voulait étudier avec lui. La troupe devait rester deux semaines pour refaire des achats de décors et de costumes, avant de reprendre la route des campagnes ; il demandait humblement son hospitalité pour ce délai. Touché de son engouement pour la science, Florin accepta. Ensemble, ils pratiquèrent la mise en bocaux de divers organes, il lui enseigna le fonctionnement des muscles et tendons, lui fit découvrir la fine broderie des nerfs et des vaisseaux… Judas semblait plus paisible qu’avant, il ne parlait plus de se pendre et d’offrir son corps à la science. Mais au moment de repartir, on vint demander à Florin s’il n’avait pas vu Marcine, qui avait disparu depuis deux semaines. Le médecin demanda gravement à son ami ce qui s’était passé, et Judas lui dévoila toute l’affaire. Il avait forcé Marcine à boire de son propre vin, puis avait appliqué sur elle le plâtre des masques mortuaires, qui l’avait lentement étouffée. Il avait ensuite abîmé son cadavre pour la rendre méconnaissable.

C’était une ignoble trahison, en plus d’un acte impie et criminel ; un acte qui ne pourrait être pardonné, quelle que soit leur volonté à tous deux. Florin quitta Londres, en laissant pour la troupe une lettre disant que Marcine retournait en Suède avec lui, où ils se marieraient. Il abandonna son cabinet à Judas, afin d’en faire ce que bon lui semblerait, et dans un placard, ce dernier retrouva le bocal contenant le cœur, laissé à son intention. Pendant toute une soirée, seul dans le logement vide, le jeune homme fixa ce cœur décoloré, posé devant lui sur la table. Ce fut une nuit de cauchemars, peuplé d’yeux bleus et noirs entremêlés qui se penchaient sur sa couche pour dévorer son âme de leurs regards avides. Au terme de cette nuit, il écrivit à ses parents, en leur déclarant qu’il ouvrait boutique à Londres, qu’il les saluait bien, et que s’ils étaient de passage, ils pouvaient venir le saluer. Il savait que son oncle Thaniel était souvent en voyage et qu’il serait le premier. Il ne lui restait plus qu’à attendre. Les comédiens repartirent sans connaître la vérité ; il ne pouvait plus envisager de s’approcher d’eux. Leur présence qui n’avait été d’aucun secours pour ses tourments, leur philosophie si libre qui avait laissé s’épanouir les démons de Marcine, ne lui inspiraient plus qu’un profond dégoût.

Chapitre Troisième : la Lumière Son oncle arriva deux mois plus tard. Entretemps, à son grand regret, Judas, redevenu Estien Balmore, avait vendu sa collection de livres. Le cimetière n’était pas bien loin, il savait ce qu’il allait faire de ce local. Il avait commencé par acquérir des fleurs et tresser des couronnes, avant d’appliquer à la science des cercueils ses connaissances en création de décors de bois, et pour finir il avait aménagé son cellier en salle froide pour conserver les morts dans l’attente d’une sépulture. Et lorsque l’homme aux yeux noirs se présenta à l’entrée de sa boutique, c’était une petite entreprise de pompes funèbres en plein développement, à l’échelle de ce quartier sans prétention, bien sûr. Mais il y avait un client dans la boutique, un homme masqué. C’était étrange : on aurait juré que le masque était à l’effigie d’une toute jeune femme. Une fine couche de bandes plâtrées, et pour tout maquillage, des traces qui évoquaient le sang séché.

Thaniel n’était pas homme à s’effrayer pour si peu, et ne prêta guère attention à cet étrange quidam, mais ce fut ce dernier qui l’aborda. Pour être exact, le quidam lui porta une accusation tout aussi étrange que sa tenue : il lui reprochait d’avoir fait de son neveu une moitié d’homme, de lui avoir fait du mal jadis, d’avoir brisé son orgueil, faisant de son âme l’objet de tentations contre-nature envers ceux qui lui témoignaient de l’amitié, et de son corps, la proie des femmes dominatrices, qui sont les démons de ce monde. De nulle part, le fou sortit un bocal qu’il jeta aux pieds du cavalier, où il se brisa : il contenait un cœur humain. Thaniel sortit son couteau et le duel s’engagea. Au fil des passes, il s’aperçut d’un détail amusant dans tout ce chaos : la technique de combat de son mystérieux adversaire n’était pas militaire. On aurait dit qu’il l’avait apprise sur les planches. Pourtant, il ne faisait pas semblant, et une fois ou deux il parvint même à l’égratigner. Les yeux noirs de l’homme flamboyaient du plaisir de la bataille, et son enthousiasme viscéral semblait renforcer la rage de l’inconnu, qui bravait la mort avec un courage assez plaisant. Un coup qui lui frôla le visage trancha le ruban qui retenait le masque, et Thaniel vit soudain apparaître le visage de son neveu, vieilli, amaigri, pâli, mais bien reconnaissable. De surprise, il baissa sa garde, et reçut la lame dans le cœur. Ses dernières paroles furent pour lui dire qu’il était fier de sa manière de se battre, pour lui conseiller de prendre tout de même des cours auprès d’un véritable maître d’armes, et pour lui jurer sur la Bible qu’il ne lui avait jamais fait ce mal dont il l’accusait.

Estien le mit en terre, avertit la famille de son décès, et se plongea dans les méandres de sa propre vérité. Il s’étudiait, alors qu’il recevait les familles, saluait son voisinage, suivait du regard les passants sur le pas de sa porte. Il accueillait désormais à bras ouverts les souvenirs embrouillés qui tentaient de se frayer un chemin vers sa conscience, il leur tendait la main pour les ramener à la surface, les ranimer tendrement comme autant de parts de lui-même. Il savait à qui appartenaient les yeux noirs, ce qui sous-tendait sa galante soumission aux moindres désirs des femmes, ce qui expliquait sa confiance et son besoin d’affection de la part des hommes, son refus absolu, viscéral, d’avoir des enfants. Il ouvrait ses propres entrailles pour en tracer une cartographie scientifique, comme il le voyait faire aux sculpteurs, aux apothicaires, auxquels il fournissait de temps à autres un bras, un organe, une tête, prélevés sur les cadavres dont il avait la charge. Et bien que la vérité soit parfois de nature à lui brûler la rétine, il ne détournerait plus jamais le regard. Le savoir était à présent sa religion. Si personne ne le soupçonnait de se livrer à ce trafic clandestin, en revanche il se heurta bientôt à d’inquiétants personnages ; la pauvreté poussait déjà certains individus peu scrupuleux, qui se décoraient ironiquement du terme de résurrectionnistes, à tirer salaire de leur habitude de profaner les tombes, à l’origine pour en tirer un macabre amusement voire une malsaine satisfaction physique, et désormais pour revendre les corps au plus offrant, sous le manteau.

Ils n’étaient pas amoureux de la science, pour leur part, ou de l’humanité ; ils n’hésitaient pas à bavarder avec leurs clients, à sonder leurs besoins, et à descendre dans les bas quartiers, enlever et mettre à mort un pauvre hère correspondant aux besoins évoqués. Ces vautours faisaient leur pain de chaque menu détail, distribuant au gramme leur prochain assassiné, les cheveux aux faiseurs de poupées, les dents d’or aux bijoutiers… Ils prirent d’abord pour un collègue ce croque-mort qui se montrerait sans doute complaisant face à leurs frasques, cherchèrent à l’intimider, à lui faire effacer pour rien, ou pour une maigre obole, les traces de leur passage maladroit. Estien les dénonça plus simplement au guet et les fit tous pendre. Mais cette engeance ne mourait jamais, elle sortait des pavés arrosés de famine comme une mauvaise herbe. Le jeune homme dut s’habituer à cette concurrence angoissante, et devint l’allié des forces de l’ordre, quel que soit le souverain qui les dirigeait. Dès qu’il avait connaissance d’un résurrectionniste en ville, il le traquait, établissait sa culpabilité, et le faisait arrêter. Malgré la modestie de son voisinage, jamais nul brigand ne se risqua à lui dérober la recette de sa journée, car ses amis de la garde venaient fréquemment le saluer en uniforme, inspirant une crainte légitime aux éventuels passants mal intentionnés. Et jamais sa mère ne vint coucher à Londres pour quelques nuits, comme si elle savait de quelle manière elle y serait reçue. Jamais il ne revit les yeux noirs, hormis dans son miroir, lorsqu’il ressentait le besoin de les affronter en face.