Récit d'une mal-née
Mon nom de famille ne vous dit vraiment rien ? Vous êtes bien les seuls dans ce cas, car j’ai payé et subi mille tourments pour avoir commis l’erreur de le porter. Et pourtant, je suis de la plus belle race noble de l’Angleterre, mon bien aimé grand père n’était pas qu’un simple gentilhomme à la cour, la reine douairière Margaret Beaufort en son temps lui avait fait même l’honneur d’être l’usufruitier de terres appartenant aux Tudors en fin de guerre des Deux Roses. Elle voulait ainsi les mettre en sûreté en les offrant à quelqu’un de confiance.
Famille puissante et riche que la mienne par conséquent, mais il a suffi d’une seule brebis galeuse, pour tout gâcher. Tante Jane, comme je t’admire et comme je te hais tout à la fois, mon destin sera-t-il donc toujours lié à toi et à ce que tu as fait ?
13 Février 1542, L’enfant de treize ans avait délaissé les jeux de ses frères et sœurs pour se blottir dans les bras de son père, non seulement pour qu’il la réchauffe à cause du froid terrible, mais aussi pour le consoler … Il n’avait rien dit depuis des jours et ne disait toujours rien d’ailleurs, il restait immobile assis près de la cheminée tel une statue, tout plongé dans ses pensées. Plusieurs fois Grace Newport sa femme et mère de Sybille l’avait appelé mais il n’avait pas seulement cillé.
Au cours de l’après-midi, il se mit cependant à trembler de tous ses membres comme en proie à la fièvre et se leva si brusquement que la petite fille en chuta. Il s’excusa auprès d’elle puis s’en alla le corps secoué de larmes. Tandis qu’il s’éloignait d’elle, il murmura entre plusieurs sanglots, un prénom : Jane … Jane …
Tante Jane ? Que lui arrivait-il ? N’était-elle pas à Londres en compagnie de la reine Catherine puisqu’elle avait reçu le grand privilège de faire partie de sa Maison ?
Sybille ne comprenait pas, et détestait ne pas comprendre ce qui pouvait chagriner son père, ce père qu’elle aimait tant.
Ce soir-là, elle ne se coucha pas et à pas de loups traversa les longs couloirs de l’imposant manoir pour revenir dans la grande salle où étaient réunis toutes les personnes de sa famille.
Grace Newport, très nerveuse, faisait les cent pas, tandis que Henry Parker senior gardait son regard fixé sur les flammes du grand feu crépitant dans l’âtre. Son père quant à lui faisait mine de se concentrer sur un jeu d’échec.
- Mon Dieu, quel avenir attend nos pauvres enfants ? se lamenta sa mère.
- Un avenir difficile, c’est certain. Comme pourrait-il en être autrement ? Jane avait une ambition démesurée qui l’a perdue. N’oubliez pas comment elle a arraché mon consentement pour épouser George Boleyn à l’époque. -
Oui je m’en souviens parfaitement, renchérit le père de Sybille Henry Parker fils,
ah si elle n’avait pas dénoncé les relations coupables et incestueuses de la reine Anne avec son frère au moment du procès … - Un témoignage qui nous vaudra d’être un jour haï par Elizabeth sa fille, je vous le rappelle mon époux ! Et si cette dernière monte un jour sur le trône, nous sommes perdus et cela sera sans doute pire qu’une simple disgrâce, comme ce qui est arrivé aujourd’hui nous le prouve ! Comme pour ponctuer sa réplique, une des fenêtres s’ouvrit sous une bourrasque et fit greloter la petite fille en simple chemise de nuit.
- Le plus sûr aujourd’hui est de rester sagement sur nos terres, le roi est certes en colère mais n’oubliez pas que nous possédons certaines de ces terres encore en usufruit et même s’il disgracie notre famille de la cour et nous retire notre titre, il ne peut casser cette vente. Nous avons donc encore un atout. - Vous croyez ? Je vous rappelle que ce roi a chassé une infante d’Espagne pour mettre à sa place la belle-sœur de votre fille ! Oui celle-là même qui vient d’être exécutée aujourd’hui en compagnie de la reine Catherine pour avoir couvert son adultère ! Le père de de Sybille foudroya sa femme du regard, comment pouvait-elle aussi insensible pour leur lancer au visage le rappel de l’exécution de Jane ?
- Nous aviserons en temps voulu, c’est-à-dire sans doute à la mort de ce tyran ! En attendant ce jour, bonsoir ! Sybille n’avait pas compris tout ce qui s’était dit mais pleurait à son tour. Tante Jane était morte ? Elle était si belle et lui montrait depuis toujours une affection des plus particulières ! Souvent, elle lui avait parlé de la Cour et de ses fastes ! Ces descriptions l’avaient faite souvent rêver, comme il devait être merveilleux d'y vivre ! Mais tout ça semblait fini, elle ne la verrait plus jamais … ainsi le Roi l’avait faite exécuter ? Maudit Roi !
28 janvier 1547, Tandis qu'au palais de Whitehall, tous pleuraient ou du moins simulaient un profond chagrin, il n'en était pas de même dans la demeure des Parker. Le tocsin n'avait pas sa place ici ! L'heure était au contraire à la fête ! On l'avait fait venir des troubadours, des danseurs, des jongleurs et bateleurs. N'y avait-il pas de quoi se réjouir ? Le roi était mort ! ENFIN ! Sybille qui avait toujours été une enfant puis une jeune fille très joyeuse fut celle qui mena les farandoles, ou accrocha des rubans de soie aux robes usées des paysannes. Personne dans la contrée n'avait pardonné à Henry VIII ... aussi autant que le peuple que la famille Parker se réjouissait.
Bientôt, Sybille en était certaine, elle gagnerait la cour et vivrait des aventures extraordinaires ! C'était certain !
Au cours des mois suivants, Elle déchantait amèrement ... Personne ne l'avait bien accueillie. Les Seymour régnaient en maître, elle aurait dû pourtant s'en douter : Seymour et Boleyn ne font pas bon ménage et même si elle avait pu attendrir la reine douairière Catherine Parr afin de rentrer dans sa Maison, tous lui avaient fait sentir que sa place n'était pas ici !
Personne ne lui accordait sa confiance ! Tout le monde l'évitait, il en aurait pas été autrement si elle avait eu la Peste !
Au delà de cela, sa pauvre mère était morte et elle devait supporter la présence d'une belle-mère ! Tout décidément allait mal et la minait cruellement !
La coupe de sa patience déborda lorsqu'un jour, une dame l'humilia au plus haut point, en la giflant ni plus ni moins tandis que les courtisans étaient nombreux dans la plus importante galerie du palais ! Qu'avait-elle fait sinon avoir osé lui parler !
- Veuillez ne pas m'adresser la parole, jeune fille ! - Pourquoi donc dame ? Et pourquoi me prendre autant de haut, je suis l'une de vos pareilles, je vaux tout autant que vous ! - Vous ne valez pas cher au contraire, et ne m'insultez pas en me comparant à vous ! Votre famille a beau être noble, vous n'êtes que des parvenus et si votre tante a un jour joué une des vertus pour l'assaut du château vert, c'était sans doute le comble du cynisme puisqu'elle ne comptait que des défauts ! Votre visage angélique ne prend pas avec moi, on sait tous ici que vous étiez la préférée de cette vipère ! Hors de ma vue Parker ! Sybille avait alors demandé de plus amples explications, avait suivi cette dame et c'est à cet instant que sa joue avait essuyé le coup. On ricana beaucoup autour d'elle ... Quand la jeune fille rentra dans ses appartements, sa colère était à son comble. Au château durant des années, un grand botaniste lui avait appris l'art des plantes et toute à sa haine, elle se souvient de certains conseils concernant les dosages.
La nuit venue, elle se forgea un alibi que l'on ne pouvait contester et se glissant jusque chez cette horrible femme vêtue en domestique, elle échangea ses prescriptions d'apothicaire contre un flacon de poison ! Le lendemain, on la retrouva morte, gisant dans son lit.
Elle était vengée !
12 février 1554,Jane Grey était morte ... Sybille venait d'assister à son exécution avec amertume de la fenêtre de sa cellule ... Ce n'était pas faute d'avoir eu autant à cœur sa cause et d'avoir tenté même avec beaucoup de discrétion de lui venir en aide ! En effet, Sybille ne pouvait plus mettre que ses espoirs entre les mains des Grey et avait tout à gagner à ce que le testament d'Edouard VI soit respecté.
Malheureusement cette peste de Mary Tudor s'en est mêlée et ces neuf jours où sa cousine a été sur le trône et où Sybille était à ses côtés, elle-même aurait pu les payer de sa vie !
Sybille a connu d'ailleurs durant plusieurs semaines et mois l'humidité de la Tour de Londres. Elle en est sortie en rusant. Une seule personne pouvait témoigner que Sybille était bien en compagnie de Jane Grey au cours de son règne si court, les murs de la royale prison ne furent donc pas assez épais pour épargner cette personne. Promettre une nuit de rêve au geôlier et lui demander d’administrer une certaine mixture au prisonnier de la cellule 36 ne fut pas bien difficile, il faut bien l'avouer ... Elle a des atouts indéniables, elle s'en est aperçue plus d'une fois ! Et voilà qu'elle était tranquille maintenant ! Si procès il y avait, il n'y aurait pas de témoignage de sa culpabilité.
Procès il y eut, fin avril 1554, et on dut bien se résoudre en effet à la relâcher. Surtout après une dernière démonstration de malice de sa part.
En effet, en montrant autant de dévotion catholique et de résignation sur son sort qu'une sainte et ce depuis le jour de son incarcération - elle pourtant qui est de cœur si protestante - elle a réclamé haut et fort de rentrer dans les ordres et de se consacrer au Christ, afin de racheter entre autre les péchés de sa tante.
La reine ne pouvait qu'être touchée lorsqu'on lui fit le rapport de ses volontés, sa ferveur religieuse étant sans aucun doute son talon d’Achille.
Cette couverture est véritablement parfaite si elle doit empoisonner d'autres personnes ou bien se battre pour le protestantisme... Et on devrait penser que la politique ne lui tient plus du tout à coeur également, alors que Sybille est plus que jamais décidée à soutenir le parti des Brandon - Grey !
Bien entendu, elle devra jouer serré et ne pas dévoiler son double jeu à n'importe qui ! Car certains seront sceptiques bien sûr et la mettront à l'épreuve, la Cour est un monde de requins, mais n'est-elle pas la nièce de la vipère comme on le lui dit si bien ?
Bon ... Il y a bien un revers de médaille à jouer une bigote à la Cour cela dit et c'est bien de ne plus pouvoir s'amuser comme on le voudrait ! Mais enfin le voile n'est pas encore à prendre demain ! L'eau a le temps de couler sous les ponts d'ici ce jour fatidique !