Jack Mortimer, le terrible capitaine du Blacklantern avait commis de nombreux méfaits, assumés ou non, il se moquait depuis toujours de ses victimes, qui avaient eu le malheur de croiser son chemin. Il en fallait peu pour contrarier le capitaine Mortimer, un regard de travers quand il était ivre et la personne se retrouvait transpercée par son épée. Une bousculade quand il se promenait sur les quais, le malheureux se retrouvait assommé et noyé dans la Tamise. La force de Mortimer était sûrement de ne pas avoir de faiblesses. Certes il appréciait beaucoup la belle Mary-Ann Paton. Certes, il vénérait son navire, mais en dehors de cela, il n’avait pas de faiblesses. Frapper, assommer, tuer, quand on voulait être capitaine d’un grand navire, on ne devait pas avoir de pitié, surtout quand on voulait s’enrichir. Les pillages de navire avaient leur lot de mort, tout comme la négociation, dans les coins sombres des ruelles.
Depuis qu’il pouvait revenir régulièrement à Londres, Mortimer commerçait pour la capitale anglaise, tout en faisant son profit, il était l’un des rares marchands à se rendre dans les contrées hostiles où la guerre faisait rage, mais aussi à profiter du monopole espagnol sur le Nouveau Monde pour se glisser entre les mailles du filet. Parfois un navire disparaissait dans l’Océan Atlantique et on pouvait être certain qu’il en était le principal acteur. Les souvenirs plein la tête, il se rendait au RedLantern pour en parler avec fierté à sa chère Mary-Ann et ses filles de joie. Il aimait fanfaronner, mais ses récits étaient bien souvent vrais, même si certaine personne avait beaucoup de mal à y croire. France, Pays Ottoman, Chine, Nouveau Monde, il était un homme libre qui pouvait se rendre là où il voulait, sans demander de compte à personne. Sa fierté aussi grande que son égo, le conduisait à Londres pour braver les interdits et surtout pour se montrer à la royauté qui le condamnait. Depuis, quand il se rendait en Angleterre, le Blacklantern devenait la Mouette Volante, pour passer plus naturellement. Il se moquait de tout cela, comme il se moquait de la vie de ses victimes, puisque pour Jack Mortimer, une seule personne comptait, lui-même.

Quand il quitta sa cabine au petit matin, Londres commençait à prendre ses couleurs d’hivers, celle d’un soleil présent, éblouissant, qui rayonnait sur les eaux sales de la Tamise. Quand il jetait un regard sur la ville, elle était à ses yeux l’une des plus sales, avec Paris, qu’il ne lui ait jamais été donné de voir. Rien n’était plus beau que la mer, belle, lisse ou sauvage, elle avait cette propreté, qui ne lui était pas donné de voir sur terre. La mer était son épouse, l’unique personne à qui il avait pu rester fidèle durant ces cinquante dernières années. Le capitaine en avait vu des choses et parfois, il avait du mal à croire qu’en effet, il avait cinquante et qu’un jour, il allait devoir quitter cette terre. Son père était mort bien avant cet âge au cours d’un assaut et lui de quelle manière allait-il quitter cette vie ? Il n’en avait aucune idée, sûrement en mer, comme cela était son souhait. Mer épouse, mer qui serait son dernier tombeau. Oui, un jour Jack Mortimer allait devoir faire sa révérence de cette vie qu’il avait traitée avec tant d’arrogance, mais ce n’était pas pour maintenant, il avait bien l’intention de voir la reine Mary crever et de voir l’avènement d’un monde plus favorable pour la marine anglaise, qui était si pauvre. Pour lui s’était une honte de négliger le potentiel de la mer, surtout quand on était une île, mais il n’était pas à la tête des états, il était seulement le roi des océans.
Comme chaque matin, Mortimer quitta son navire pour faire le tour du port, observé comme à son habitude les navires entrant et partant du port. Il regardait les marchandises, questionnait les capitaines, puis partait. Personne en Angleterre n’avait sa fougue pour abandonner le cabotage et se lancer tout droit, face à la grande bleue. Fier, il reprit le chemin de son navire pour donner ses ordres à ses hommes et voir ceux qui ne se trouvaient pas en prison, pour tapage dans les rues de Londres, c’est alors qu’il découvrit un jeune homme, les fesses sur un baril, un carnet à la main, l’œil sur son navire. Tout en bombant le torse, il passa dernière le jeunot et regarda ce qu’il était en train de dessiner, son cher navire.

« Il est beau ce navire, n’est-ce pas ? » Disait-il avec fierté, sans lâcher l’œil sur le seul enfant qu’il avait assumé, son Blacklantern.

Il y avait deux personnes dont le capitaine Jack Mortimer se souciait, c’était de lui et de son bateau et comme le navire était presque Jack, on pouvait dire qu’il ne se souciait réellement, que de lui-même. Grand égoïste, pétri d’orgueil, pour lui le monde devrait être à ses pieds, puisque lui-même était le roi de l’océan, un roi qui avait bravé bien plus de tempêtes, que ceux assis au chaud sur leur trône, derrière la protection de leurs châteaux. Lui, il avait la chance d’être un homme, ce qui n’était pas donné à tout le monde.
Ainsi, quand Mortimer vit un jeune homme en train d’admirer et de dessiner son navire, il ne put s’empêcher de gonfler d’orgueil tout en admirant sa chère Blacklantern, rebaptisée pour l’Angleterre, la Mouette Volante. Son navire écumait les mers depuis de nombreuses décennies et cela bien avant sa naissance, puisque son propre père en était déjà le capitaine. Ce navire, grâce aux Mortimer était devenu une légende et celle-ci ne ferait que perdurer, puisque seul un Mortimer serait aux commandes de ce bateau. Sa barre sera gouvernée après lui par son propre sang et par chance, il avait eu quelques bâtards, dont MJ, qui même si elle était une femme savait s’imposer et parfois on doutait même de son sexe, tellement elle jurait comme un charretier et buvait comme un marin. Il n’avait aucun sentiment pour sa fille, il ne lui faisait pas de cadeau, tout simplement pour la préparer à la tâche, qu’elle allait devoir accomplir, quand il viendrait à mourir.
Son orgueil se transforma rapidement en une sombre colère, quand le jeune homme lui répliqua que le mât n’était pas droit. Une lueur furieuse traversa son regard, mais Jack garda tant bien que mal son calme, tout en accordant un simple sourire crispé au môme, qui avait osé injurier son navire. S’il n’y avait pas du monde, sur le port, il aurait sûrement balancé le garçon à la mer, après lui avoir fait manger sa panoplie de dessin. Il détestait les personnes qui lui manquaient de respect, encore plus quand l’insulte se portait sur son navire. Il le regarda, lui le garçon aux cheveux noirs et se dit qu’en fait le tuer maintenant ne serait certainement pas amusant.

« Tu ne dois pas avoir le compas dans l’œil, le mât de la Mouette Volante est parfaitement droit. » Susurra-t-il tout en faisant un pas en avant, pour admirer sous un autre angle son navire. « Tu vois mon garçon, tu ne verras pas un autre navire comme celui-ci, cela fait cinquante ans qu’il écume les mers et il est toujours aussi beau comme au premier jour. » Il était pensif, comme à chaque fois qu’il parlait de son navire. D’ailleurs, dès qu’il l’évoquait, on pourrait croire que le Blacklantern n’était autre que son épouse, tellement il savait décrire ses courbes, mais aussi ses défauts, qui à ses yeux étaient des qualités.
« Bien sûr que je connais quelqu’un ! Je suis le capitaine de ce navire ! Montes, puisque tu as l’air curieux et si tes dessins sont corrects, je t’en achèterai un. » Il répondit à la question du garçon, sur le ton de l’orgueil, avant de prendre le chemin du navire et il grimpa sur le pont, avec le garçon à sa suite. Son équipage était sorti, sauf quelques hommes qui s’assuraient de la surveillance et de l’entretien de la Blacklantern. Son navire avait une organisation finement ficelée et personne ne devait déroger aux règles qu’il avait lui-même instauré.