L’Angleterre. Ses falaises blanches, sa mer, ses mouettes et son charme. Ce pays qu’il avait quitté, depuis de nombreux mois, se trouvait face à lui, à quelques kilomètres. Le Blacklantern venait de quitter Calais, fier de se trouver à nouveau en terre anglaise, avec son équipage heureux de rentrer à la maison. La maison. Cette dernière était devenue une terre hostile pour eux tous, depuis que Mary Ière Tudor était montée sur le trône en ce jour de juillet 1553. Catholique, harpie, vieille fille, mégère, tels étaient les nombreux surnoms que tous lui donnaient. Cette reine leur avait pris, leur unique plaisir, celui de piller des navires espagnols et maintenant, voilà qu’elle allait épouser l’un d’entre eux. Donc, depuis juillet 1553 et ce jour funeste où la reine s’était vue remettre la couronne d’Angleterre, les activités du Blacklantern étaient pour le moins légales et surtout beaucoup moins fructueuses.
Les cales étaient pleines, pleines de leurs trouvailles et de leurs pillages au Nouveau Monde, mais aussi de leurs différentes escales dans divers coins du monde. Le Blacklantern n’avait pas chômé durant son exil de quelques mois et même si ça faisait bientôt un an qu’ils étaient partis, l’équipage n’avait jamais oublié sa terre natale. De ses yeux noirs, Jack Mortimer, tout en tenant la barre regardait l’horizon lointain, les falaises blanches qu’il chérissait tant, étaient là, droit devant lui, comme un appel au retour, comme un message de bienvenue. L’homme était fier de lui, fier de ces longs mois passaient loin de l’Angleterre, fier de sa décision qui lui avait permis de se faire oublier quelques temps. Maintenant, il allait enfin pouvoir rentrer chez lui, même si sa réelle maison était son navire et l’océan. Jack le savait, il ne tiendrait jamais en place, il finirait par repartir en mer. Cependant, pour le moment, il avait une invitation à un mariage à honorer. Invitation, qui au passage, il n’avait jamais reçu. L’union entre la reine et Philippe de Habsbourg était une bonne occasion pour l’homme de pouvoir bouter de l’Espagnol, mais aussi pour pouvoir faire affaire en ville. Londres devait être en pleine effervescence et il allait avoir les moyens de pouvoir liquider sa marchandise, à prix d’or. Après tout, quelle dame ne voudrait pas se confectionner une nouvelle robe en soie pour cet évènement ? Quel repas ne se verrait pas agrémenter de quelques épices ? Jack avait de tout dans sa cargaison, de quoi satisfaire toutes les envies, mais surtout de quoi s’enrichir. Puis, après tout ce temps, loin des terres anglaises, ils avaient aussi été loin de ses femmes. Les anglaises avaient toujours été des femmes magnifiques et même après avoir goûté aux saveurs plus exotiques, les hommes du Blacklantern étaient tous d’accord sur cette question. Jack de son côté, avait en tête de retrouver Mary-Ann Paton, la plantureuse maquerelle du Redlantern, qu’il avait fini par abandonner, pour sauver sa propre peau. Oh, c’était certain, elle ne serait pas heureuse de le revoir, mais que pouvait-il bien y faire, tout ça, c’était à cause de la reine.

« Merle, prends la barre. » Hurla-t-il à l’un de ses hommes, un chauve avec une grande balafre lui traversant le visage.

Maintenant qu’ils étaient sortis du port de Calais, ils n’avaient plus qu’à naviguer vers les côtes anglaises et rejoindre la Tamise et le port de Londres. Là-bas, le Blacklantern ne passerait sûrement pas aperçut, mais l’homme s’en moquait, si on venait l’interroger, il ne risquerait rien, après tout, n’était-il pas l’honnête homme qui ramenait une cargaison pleine de denrées rares, tout cela au péril de sa vie ? Après avoir abandonné la barre, l’homme inspecta son navire et donna de nouveaux ordres à ses hommes pour qu’ils prennent garde à certains endroits trop rocheux. Puis après que tout fut mis en ordre, il se rendit à l’avant du navire, pour admirer cette Angleterre qui ne cessait de se rapprocher. Encore trois petites heures et il foulerait enfin le sol anglais.

Back to England

Les claquements des cordages dans le vent et les cris des animaux marins avaient tendance à déclencher une curieuse forme de nostalgie. Le Blacklantern était sur le retour il était vrai, et ce trajet laissait envisager une nouvelle étape pour l'équipage. La seconde du navire n'avait jamais été une sentimentale mais l'idée de retourner à leur point de départ, bien que chargés de mille marchandises cette fois, lui laissait une amertume étrange. Pourtant, le débarquement n'allait pas être de tout repos : c'était bien du Blacklantern que l'on parlait ! Mais un sentiment d'inaccomplissement venait aujourd'hui agacer ses esprits.
Tout en parcourant le pont, Mary-Jane admira la mécanique bien huilée que constituait l'équipage ; elle avait terminé de distribuer ses directives et au vu des conditions, aucun imprévu ne devrait venir perturber l'avancée du bâtiment – aucun imprévu météorologique tout du moins. Avec les frasques qui faisaient la réputation du capitaine, qui sait quel accueil les attendait en Angleterre ? MJ manqua de heurter un mousse qui passait entre ses jambes mais sembla ne pas le remarquer, ou ne jugea pas utile de laisser savoir qu'elle avait relevé son existence. Toute à sa réflexion, elle savait déjà ce à quoi les hommes songeaient à quelques lieues de leur terre natale et fronça le nez ; si les plaisirs du ventre et de la chair ne l'avaient jamais laissée plus indifférente que n'importe quel pirate, cette fois-ci, le cœur n'y était décidément pas.
Lorsqu'ayant atteint la partie avant du navire elle remarqua que c'était Merle qui tenait la barre, elle devina par la force de l'habitude où devait se trouver son père.


« Captain. »

Mary-Jane se posta à son côté, portant son regard sur les mêmes côtes que fixait Jack Mortimer. Elle se tut un instant, se mordant les lèvres plus frénétiquement qu'elle ne l'aurait souhaité, avant que le sel qui s'y était déposé ne vienne calmer quelque peu son agitation intérieure.

« Plus que quelques lieues avant la côte... Les hommes paraissent heureux de – »

Soudain, elle comprit ce qui l'avait bouleversée toute la traversée : de la culpabilité. Elle manqua d'éclater de rire. Des remords, Mary-Jane ? pas pour les trésors de tous les continents. Jamais elle n'avait regretté un acte et même si tout devait la remettre en cause elle défendrait, un peu de mauvaise fois aidant, ses choix jusqu'à ce que sa détermination lui permette de garder la face. Mais ce qui la gênait véritablement, c'était de n'avoir pas eu l'occasion de dire tout ce qu'elle désirait sur le sujet. Parce que si son geste avait déplu au capitaine, l'inverse n'était pas moins vraie.

« Ils paraissent heureux de rentrer », acheva-t-elle.

L'histoire commençait déjà à remonter – combien cela faisait-il de temps qu'elle avait arraché la blonde de la prise de son capitaine ? Elle ne pouvait pas même s'en rappeler. Alors avant de se lancer dans un argumentaire sorti de nulle part, elle songea qu'elle ferait mieux de tâter le terrain.

« Je suis curieuse de voir de quoi sera fait notre comité d'accueil. Des putains pour ces messieurs probablement... ou d'autres femmes, puisque certains ne sauraient pas distinguer les premières des secondes sans une bonne correction. »

S'était-elle déjà engagée un peu trop loin dans le sous-entendu ? Elle décida de refréner la passion qui déjà lui montait à la tête et menaçait de lui faire perdre la mesure de sa langue. D'un regard en coin, elle jaugea la réaction du capitaine avant de reporter une attention toute relative aux falaises anglaises qui se rapprochaient doucement.

Les voiles blanches du Blacklantern perçaient le ciel, tandis que l’avant du navire déchiré l’horizon, comme impatient de retrouver sa lointaine demeure. Londres était encore loin, mais l’Angleterre se trouvait toute proche, bientôt, ils n’auront plus qu’à franchir la Tamise et à se laisser glisser jusqu’à la capitale. L’équipage était impatient, rigolant joyeusement, en évoquant les putains les plus célèbres, comme Amy aux seins magnifiques, une ravissante rousse, pétillante, qui demandait un prix déraisonnable pour une simple nuit avec elle, ou encore Gigi aux belles cuisses, celle qui vous étreignait avec tellement de passion, qu’on n’avait qu’une envie, la reprendre une seconde fois. Les hommes avaient leurs habitudes et même si les françaises n’étaient pas du tout farouches, le goût de l’anglaise les avait beaucoup manqués. Jack Mortimer en attendait qu’une, elle n’était pas la plus jeune, mais elle était la plus expérimentée, celle qui ne cessait de revoir, même après sept longues années à parcourir son corps : Mary-Ann Paton. Sous ses airs de femmes bien éduquées, elle était une maquerelle redoutable et une adversaire qu’il aimait retrouver à chaque escale. Après, un peu moins d’un an de séparation, elle avait peut-être retrouvé un autre amant. Et bien, si elle avait osé faire ça, son remplaçant perdrait vite sa place sous le coup de l’épée.
Jack Mortimer avait abandonné la barre, pouvant ainsi contempler à loisir les falaises blanches qui lui faisaient face et qui étaient synonymes de retour. Il n’affichait pas sa joie, mais un petit sourire satisfait traversait ses lèvres. Ses calles étaient pleines et à Londres, il allait pouvoir se faire une petite fortune et revendant sa marchandise. Il savait déjà à qui s’adresser pour en soutirer un excellent prix. Bientôt, le capitaine fut vite rejoint à l’avant du navire, par son second, qui n’était autre que sa bâtarde, Mary-Jane, mais qu’il appelait MJ, par commodité, mais aussi pour mieux effacer la féminité de cette bâtarde. La gamine était douée, mais elle restait avant tout une fille et Jack se désolait par moment de ne pas avoir engendré un fils aussi talentueux qu’elle. Mais bon, peut-être qu’à sa mort, la bâtarde parviendrait à se faire une place parmi l’équipage, ce qui n’était jamais gagné à l’avance. Lui-même avait dû se battre pour se faire sa place, alors qu’il était l’héritier de son père. Par le sang, il avait vaincu les mutinés, jetant leurs cadavres par-dessus bord, sans aucun remords.

« Ils sont plutôt heureux de retrouver les catins et les tavernes anglaises. Il n’y en a pas de meilleures qu’à Londres, que cela soit pour l’une et l’autre. » Fit-il remarquer à sa fille. « Mais ils vont devoir attendre et travailler, jusqu’à notre arrivée au port, la capitale est encore loin et nous avons toute la Tamise à remonter, si bien sûr, on nous accepte. » Ajouta l’homme, sur un ton froid et autoritaire.

Sur son navire, il n’aimait pas les feignants, il tolérait quelques petits moments de faiblesse de la part de ses hommes, mais quand cela devenait trop fréquent, il remettait toujours les points sur les i. En Angleterre, même s’ils étaient chez eux, ils se trouvaient aussi en terres ennemis, une terre gouvernait par une reine adoratrice des Espagnols et qui les avait contraint à partir, il y a moins d’un an de cela. Ils en avaient tous conscience de ce danger, mais le prix en valait la chandelle, Jack jouait gros sur ce coup, mais il était certain, qu’il allait pouvoir rentrer dans Londres sans difficultés. MJ était une forte tête et la capitaine n’aimait pas ses remarques, il le savait, sa bâtarde le désapprouvait, mais ici, c’était lui qui commandait et elle ferait mieux de se taire, si elle ne voulait pas qu’il lui inflige une bonne correction, devant tous les hommes.

« Suis-je idiot où je viens d’entendre un sous-entendu dans tes paroles mon garçon ? » Disait-il tout en se tournant vers sa fille d’une voix furieuse. Jack l’attrapa ensuite à la gorge, dans un geste d’intimidation. « Saches qu’ici tu peux tout perdre, même si tu es un Mortimer, je peux tout te reprendre et te laisser où je t’ai trouvé. Est-ce bien clair MJ ? » Il retira alors sa poigne de la gorge de sa fille. « Maintenant, si tu t’attends à une horde de femmes pour notre comité d’accueil, tu te trompes, nous arrivons en pays catholique maintenant ! Et nous aurons droit aux rapaces, ceux que nous devrons payer, pour pouvoir entrer dans la capitale. Pour ce qui est des putains, elles seront justes derrière, faisant signe aux hommes pour pouvoir obtenir leurs premières passes de la journée. Heureusement pour elle, ces hommes ne sont pas bien difficiles, quand il s’agit de fourrer une catin. » Riait-il, tout en désignant l’équipage qui s’attelait derrière.