Rendez-vous à la prison

Le soleil perçait péniblement à travers les lourdes tentures, et dans la pénombre, je distinguais à peine les contours des meubles de mon nouveau -pas tant que ça en réalité- logement. Je commençais à les connaître, mais je me pris tout de même l’un des coins du lit à baldaquin dans la jambe gauche avant de pouvoir attraper et tirer l’épais tissu qui obstruait le chemin de la lumière diurne.
Je faillis émettre un juron, entendu une fois dans les écuries du domaine paternel (et à vrai dire, le seul que je connaisse), mais je me mordis la langue plutôt que de le laisser échapper. Les murs avaient des oreilles, ici, même dans ma propre chambre, même pour quelque chose d’aussi petit qu’un juron. Rien, absolument rien, ne devait venir fissurer le précieux masque que je m’étais confectionné en quelques semaines à la Cour. Pas de mouvement d’humeur, pas de sursaut d’étonnement, aucun rictus involontaire… Il fallait tout maîtriser, tout le temps, au prix de passer pour une demoiselle insipide de plus.

Je fis rapidement quelques ablutions, profitant de la lueur du jour nouveau, puis enfilai une blouse et un jupon, par-dessus lesquels je plaçai une robe de lainage brun taupe. Les manches de celle-ci, bien serrées contrairement à la mode qui prenait cours en ce moment, auraient au moins le mérite de me tenir chaud là où je me rendais. Fleet Prison, lieu de misère et de désespoir, n’avait pas été conçue pour être accueillante et chaleureuse, et elle ne l’était pas devenue au fil du temps.
Avant de partir, toutefois, je pris le temps de manger un solide repas, puis de rédiger une lettre à ma sœur cadette, la douce et délicate Edith. Je lui écrivais beaucoup, ainsi qu’à mon autre sœur, Aliénor : cela me permettait de reprendre des nouvelles de Nottingham sans avoir à passer par notre mère. Malgré les années, malgré l’éloignement, et bien qu’elle m’ait aidée à m’introduire à la Cour, je lui en voulais toujours de ne pas avoir été présente pour moi quand je n’étais encore qu’une enfant.

L’heure était venue. Neuf coups avaient sonnés, brefs et clairs, dans la froideur du matin londonien. Je quittai mes appartements pour me rendre à la prison, accompagnée d’une domestique qui portait avec moi les lourds paniers emplis de victuailles que j’allais distribuer aujourd’hui. Rien de chaud malheureusement… De toute façon, cela aurait été refroidi avant même d’atteindre le réfectoire, tant le temps était glacial.
Pendant tout le temps que dura le trajet, la domestique m’entretint d’une voix criarde des dernières informations de la Cour. Pauvre idiote. Pensait-elle vraiment que je ne savais pas que sous peu, Londres se couvrirait de bûchers et retentirait de cris hérétiques ? Ce qu’elle ne savait pas, ce qu’elle ne pouvait pas savoir, c’est que j’étais moi-même l’une de ces hérétiques que la Reine Sanglante projetait de tuer dans d’atroces souffrances. Oh, je ne compterais pas au nombre des victimes de sa folie meurtrière cette fois, mais le risque était grand, même si j’avais toujours été très discrète dans la manifestation de ma foi.


Étrange souveraine, songeai-je en pensant de nouveau à Mary Tudor, qui traitait mieux ses ennemis que ses propres sujets… Les premiers, emprisonnés à la Tour, disposaient chacun de leur propre cellule et y vivaient dans un confort relatif, certes, mais précieux comparé à celui des seconds. Ceux-ci, bien moins dangereux pour la Couronne, pourrissaient dans un taudis situé au-dessus d’une infâme tourbe, qui ne méritait pas le nom de rivière ; et tout cela pour avoir volé de quoi nourrir leur famille, de quoi rembourser leurs dettes !
Le sort de ces pauvres bougres me révoltait tout autant que l’exécution de protestants : mais il valait mieux, là aussi, se faire discret. J’avais néanmoins trouvé une façon acceptée aux yeux du monde extérieur de leur manifester mon soutien : leur apporter un peu de nourriture et de réconfort moral. La plupart des détenus étaient des ignares, malpropres et peu élevés, mais parfois une belle âme sortait du lot.

Nous arrivions à la prison, et apercevant un soldat de la Garde Royale, je me fis introduire dans la prison. Je renvoyai la servante à Whitehall et me dirigeai avec le garde vers le réfectoire. En chemin, je tentai d'initier la conversation, malgré moi peu rassurée par l’atmosphère du lieu.

Excusez-moi, il me semble que nous ne nous connaissons point encore… Quel est votre nom ? dis-je, tâchant d’être amicale avec celui qui allait surveiller mes moindres mouvements entre ces murs.

a nuit fut courte mais enrichissante. Après le repas que Roxelane avait préparé j'avais quitté notre domicile afin de régler certaines affaire en court. Je ne suis pas aussi loyal et fidèle que les autres garde qui entour la souveraine. Je ne suis pas à son service parce que je l'aime, non vraiment pas, en fait je la déteste du plus profond de mon âme. Je la sers car c'est elle qui est au pouvoir, et ce qui m'intéresse, c'est justement le pouvoir. Etre auprès de la Reine me permet de savoir relativement vite toutes ses décisions et ainsi j'arrive à m'adapter plus facilement à toute les situations qui pourrait se présenter. Je ne suis pas croyant, je ne le suis plus, plus après tous mes voyage, par contre, si je fois réellement choisir une fois, je dirais que je suis plus proche des idées protestantes de la jeune soeur de la Reine, Lady Elizabeth Tudor. Il est donc clair que si je sens que le pouvoir risque de changer de main je me précipiterais auprès de la jeune princesse et lui offrirait ma lame. Oui je pense que mon coeur va à Elizabeth, j'ignore pourquoi mais j'ai le sentiment qu'elle ferait une bien meilleure Reine que la truie qui est en train de gouverner et d'affamer notre bon peuple.

Bien, comme je le disais, j'avais quelques affaire à résoudre. Il me fallait assassiner pour un lord, un bâtard est sa mère qui risquait de poser problème. Il m'a demander de tuer une femme et un enfant. Il est trop lâche pour assumer ses actes et préfère donc payer un homme pour faire disparaitre ses frasques. Je ne soutiens pas cette pratique, mais en même temps, cela me permet de vivre plus confortablement. Je me rends donc dans le quartier de Whitechapel, trouve la maison de la jeune mère et de son bébé âgé de quelques mois seulement. Je les observais à travers une fenêtre, gardant une certaine distance pour ne pas me faire remarquer. Je reconnais que je commence à hésiter. Cette femme n'a rien demandé à personne. Quand un Lord propose une chevauchée fantastique il est difficile pour une pauvre fille du peuple de refuser. J'était immonde de faire cela et il y eus un combat intérieur intense entre mes convictions qui étaient pour rendre l'argent et ne pas le faire et mon côté mercenaire qui aime l'argent et qui pensais que si ce n'était pas moi, ce serait un autre qui ferait le travail, dans tout les cas cette gamine et son bébé sont condamnés donc autant que cela soit fait proprement et respectueusement par moi plutôt que le travail soit bâclé par un abrutit. Mais l'acte n'en serait pas plus facile pour autant. J'attendis donc que la jeune femme soit endormie et m'introduisit dans sa chambre. Je m'approchai telle une ombre de son lit, sortit une dague de ma ceinture et la plantai, dans le coeur, d'un geste rapide, je venais de retirer la vie à une jeune fille innocente, dont le seule pêché est d'être tombée enceinte. Je m'approchai ensuite du nouveau né et fit de même. Le travail était fait, propre, net, sans bavure. Je pris le chemin de la taverne la plus proche, une fois sorti de la maison...

Le lendemain matin je me levai à l'aube, je n'avais dormi que quelques heures. Je devais aller garder Fleet Prison, je haïssais lorsque la Reine m'envoyait là-bas. Il n'y a rien de plus dégradant, je trouve, pour une combattant comme moi de me retrouver là-bas. Je détestais écouter les gémissement des ses imbéciles cela me mettait hors de moi. Il n'avais qu'à pas se faire attraper ma fois qu'est ce que j'y peux moi. Cela m'agace, ils pourraient au moins faire preuve d'un peu de décence et l'honneur ou est-il ? Que les femme pleurnichent passe encore mais les hommes ? Cela me mets carrément hors de moi ! J'étais assis, ou plutôt avachi sur une chaise non loin de l'entrée de la prison. Je nettoyais précautionneusement mon sabre, souvenir de l'un de mes nombreux voyage en orient. Tout en essayant de ne pas me laisser aller à mon énervement de les entendre se lamenter. C'est alors que je vis une jeune femme arriver, encore une de ses petite bourgeoise qui veut bien dormir le soir en se disant qu'elle à aider ses imbéciles à se sentir mieux. Mon dieu comme cela était agaçant ! Je le regarde de haut en bas en reniflant avant de me lever et d'incliner brièvement la tête.

« Madame, veuillez me suivre »

Je rangeai mon arme et l'accompagnai à travers les couloirs de la prison afin qu'elle ne s'y perde pas.

« Je suis le garde Royal Morgan Flint Madame, il est certain que nous ne nous sommes point rencontrés auparavant puis-je à mon tour vous demander votre nom si cela n'ai point trop indiscret ? »

Cette jeune fille était fort charmante, il n'y avait rien à dire. Je lui jetai un regard qui se voulais rassurant avant de l'a faire entrer dans le réfectoire de la prison où était préparé tous les repas de ses idiots. Je me permis de l'aider à poser son lourd panier sur une table.

«Puis-je vous demander, Madame, pourquoi vous faites cela ? »

Oui je ne comprenais pas pourquoi les prisonniers. Encore les ôpitaux les orphelinats, je suis d'accord mais les prison ? Pourquoi autant de bienveillance pour les rebuts de la société.

Rendez-vous à la prison

Le garde ne semblait pas d’humeur joyeuse, ce que je pouvais parfaitement comprendre. Il était très certainement habitué à mieux que garder des prisonniers. J’aurais voulu compatir, il valait certainement mieux que cela : mais quelque chose au fond de moi ne cessait de me rappeler qu’avant tout, il était soldat de la Garde Royale. Il était donc loyal à Sa Majesté Mary, et par conséquent, il approuvait très certainement l’emprisonnement à mes yeux injustifié de tant de pauvres gens. Il devait sans aucun doute penser que leurs vies n’avaient aucune importance, comme la Reine le croyait. Je voyais les choses autrement : pour moi, chacune de ces personnes avait une chance, la chance d’un avenir meilleur. Et si ce n’était pas ici, ce serait après, dans cette vie après la mort que notre foi nous promettait à tous, malgré nos divergences.
Lorsqu’il me dit son nom, je tentai en vain de le faire resurgir de mes souvenirs. Non, je n’avais jamais entendu parler de cet homme. Ce qui ne lui donnait guère d’avance, puisqu’il ne paraissait pas me connaître non plus. J’avais au moins appris cela des quelques semaines passées ici : le savoir, c’est le pouvoir. Savoir quelque chose, aussi infime détail que cela puisse être, vous conférait toujours un avantage, à un moment où à un autre. Avantage qui pouvait s’avérer crucial, dans des temps comme les nôtres.


Mon nom est Catherine Holmes, dame de compagnie de Lady Stanhope, finis-je par répondre. Après tout, sa question n’avait rien d’indiscret : il allait être mon accompagnateur en ces lieux malsains, il avait bien le droit de connaître mon nom et ma fonction.


Peinant à porter mon panier (après tout, ce n’était pas pour rien que j’avais mandé une servante pour m’accompagner depuis le palais), je tâchai néanmoins de répondre à son regard franc par un sourire tout aussi vrai. Sir Flint avait beau être un homme d’armes, à la solde de Mary Tudor, il ne m’était pas désagréable pour autant. Il m’aida même, posant mon encombrant bagage sur l’une des tables du réfectoire qui servait aussi de cuisine. Ce faisant, il lança une question, qui semblait le perturber.


Puis-je vous demander, Madame, pourquoi vous faites cela ?


Question délicate. Je ne pouvais pas exactement lui dire que je considérais ma venue ici comme un acte de résistance passive : je crois que ça le vexerait, songeai-je cyniquement. Il fallait néanmoins que je trouve une réponse, moi qui détestais tant mentir. Peut-être valait-il mieux ne révéler qu’une partie de la vérité.


Je le fais parce que je pense que chaque âme mérite d’être sauvée, que l’on soit pauvre ou riche. Ce n’est pas parce que je possède plus qu’eux que je vaux plus pour autant, glissai-je en commençant à déballer le contenu du panier.


Je ne comptais pas me lancer dans un prêche qui, de toute façon, n’aurait très certainement pas converti le soldat Flint : cet homme semblait déjà avoir voyagé et vu bien plus de choses que moi, son étrange épée en était la preuve. Si cela ne l’avait pas convaincu, il n’y avait que peu de chances que j’y parvienne, moi, une demoiselle anglaise parmi tant d’autres. J’aurais aimé cependant lui faire réaliser que les hommes enfermés ici avaient eu une vie hors de ces murs ; qu’ils avaient aimé, aimaient encore pour la plupart, même si rien de très joyeux ne les attendait à leur sortie (s’ils sortaient un jour, la tendance actuelle étant plutôt de les laisser dépérir dans cet endroit moisi)… En somme, ces personnes n’étaient pas si différentes de lui, voire de moi.
D’un autre côté, si Sir Morgan se posait cette question, cela signifiait peut-être qu’il n’était pas si indifférent au sort de ces pauvres gens qu’il le laissait paraître. Et je m’apprêtais à lui poser une question plus inquisitrice, lorsqu’une cloche retentit, me faisant légèrement sursauter. Sans doute l’annonce aux prisonniers que le repas allait être servis : des bruits de pas se firent entendre, de plus en plus proches, et les premiers détenus, accompagnés de gardiens à l’air revêche, passèrent la porte pour venir s’asseoir sur les bancs de bois.

Commençait maintenant la seconde partie de ma tâche : distribuer tout ce que j’avais amené, avec l’aide du soldat de la Garde, aux prisonniers. Je tâchais toujours d'échanger quelques mots avec ceux qui avaient l'air ouverts, mais cette fois, j'étais tellement occupée à chercher des arguments pour convaincre Sir Flint que c'était à peine si je prêtais attention à ce que je faisais. C'est ainsi que je donnai malencontreusement deux quignons de pain à l'un des prisonniers assis...

' une des chose que j'aime le plus dans mon métier, depuis que je porte la rose Tudor sur mon torse c'est que tout le monde prend des gents avec moi et me parle avec un respect, presque trop forcé. La reine effrayait donc à ce point ? D'ailleurs je reconnaissais presque instantanément les "faux" catholique à cause de le excès de zèle. La plupart en font des tonnes et c'est comme cela que je les repère, cela dit, je m'en contre fiche, ils peuvent bien croire ce qu'ils veulent. Je ne suis pas aux service de la reine pour emprisonné des gens pour leurs croyances. Même si cela fait parti de mes attributions, je ferme les yeux. J'aim peut être me battre et tuer des gens mais je ne suis pas inhumain. Je l'aurais peut être été si je n'avais pas quitté l'Angleterre pour des contrées bien plus hostiles. Mais voilà, je considère que la religion est une affaire intime est privée et que si dieu existe bel et bien et qu'il a créé tant de peuple différents, ce n'est surement pas pour rien...

Mais revenons en à notre affaire, la prison, j'y étais de garde tout la journée ce qui ne m'enchantais guère en plus ses imbéciles étaient tous plus bruyant les uns que les autres. Cela dit, en fin de matinée une distraction vint à moi, habillée de flanelle et de jupons portant un panier en osier et dont la chevelure rouge brillait sous les éclats du soleil d'hiver.... Catherine Holmes qu'elle s'appelait. Dame de compagnie de Lady Anne Stanhope veuve de Seymour. Grande protestante à ce qu'on dit. Sa dame de compagnie doit sans aucun doute avoir les mêmes valeurs. Par les temps qui courent, il y a plutôt intérêt d'être bien entouré et de savoir à qui on a à faire. J'accompagne la jeune dame dans les cuisines sans lui apporter mon aide et la soulager de la loudre charge qu'elle portait depuis tout à l'heure. Je considère que si elle souhaite tellement faire preuve de charité, elle peut bien porter seule son panier. De plus s'il arrive quelque chose je serais incapable de veiller à sa sécurité avec un panier remplis de victuailles dans les bras. Cela dit je ne suis pas un monstre non plus et une fois arrivé dans les cuisine je l'aide à soulever le panier afin de la poser sur une table, tout en l'écoutant répondre à ma question. Mais cela me laissait perplexe.

« Vous trouvez ? Je vous aurais compris si nous étions dans un hôpital ou un orphelinat. Mais nous son dans un prison. Les gens que vous vous apprêter à nourrir ont fait du tors à la société, certains sont des assassins, des violeurs, nous avons aussi beaucoup de voleur qui n'hésiteraient pas à vous dépouiller de tout vos bien.... Pardonnez-moi mais j'ai du mal à penser que leur âme valent tout autant que la vôtre. »

Répondis-je calmement en lui offrant mon aide pour déballer les pains et autre nourriture qu'elle à apporté avec elle. J'avais expressément pas parler de religion, ni de ma propre âme qui, si elle existe doit sans doute être en lambeaux. Midi sonna quelques minutes plus tard. ce qui signifiait que les criminels les moins dangereux étaient libérer pour se rendre dans le réfectoire. Je détestais plus que tout les heures de repas et me fichais bien de faire la causette à ses imbéciles. Oui, pour moi, toutes les personnes assise dans cette salle à manger crasseuse sont des imbéciles. Pourquoi ? Simplement parce qu'ils se sont fait choppés.

Je balançais sans ménagement les assiettes en bois devant les prisonniers d'un côté de la salle alors que la jolie jeune femme rousse servait l'autre côté. J'entendis cependant un haussement de ton qui me fit me retourner.

« Mon diner » Lança le prisonnier que j'étais sur le point de servir. Alors que je tournais la tôte vers l'autre bout de la salle ou il y avait un problème.

« Oh ta gueule » Répondis-je en grinçant des dents avant de lancé l'assiette sur la table et de traverser la salle à grand pas pour rejoindre la demoiselle qui semblait confuse.

«Madame, quel est le problème ? »

« L'problème garçon c'est que c'te dame toute pimpante donne deux miche de pain à certain et pas à d'autre. » Répondis un des prisonniers en ce levant. Je le pris violemment par le col de sa chemise et le plaqua méchamment contre le mur.

« Présente tes excuse espèce de crevard, si cela ne tenait qu'à moi je pisserais dans ta soupe, soit contant que Lady Holmes soit plus sensible à ta situation ! »

Dis-je sèchement avant de le lâcher, peut être trop tôt...

Rendez-vous à la prison

Les prisonniers arrivaient, le bruit de leurs pas lourds emplissait le réfectoire encore vide. Les gardiens semblaient aussi dépourvus d'envie de vivre que ceux qu'ils accompagnaient, et le soldat Flint n'échappait pas à la règle. Pauvres hères... songeai-je, une fois de plus dépourvue devant la misère qui émanait de cette foule. Tous, autant qu'ils étaient, ne méritaient pas cela. Les prisonniers avaient certes commis des crimes mineurs, mais Notre Seigneur ne pardonnait-il pas aux pécheurs que nous étions, tous, riches comme pauvres ? Le tort fait aux gardiens me paraissait plus simple : leur tâche n'était point gratifiante, surtout en ces lieux insalubres. Une meilleure paye règlerait sans doute leurs soucis, mais les coffres vides du Trésor n'autorisaient pas cette dépense...
Décidément, tout me ramenait à la Reine, et à sa désastreuse gestion du pays. Je ne l'appréciais pas, pour le peu que je l'avais côtoyée de loin à la Cour, et cette visite n'arrangeait rien.

J'étais également préoccupée par les propos du Garde, qui visiblement n'avait pas tout retenu des sermons prononcés à l'église... pour peu qu'il y soit un jour allé. Ce qui me poussa à commettre une première erreur : je donnai distraitement deux quignons de pain à l'un des détenus.

Son voisin éleva la voix, me rappelant soudain où je me trouvais. Je voulus réparer le tort commis, mais Sir Morgan avait pris le problème (et le cou du prisonnier turbulent) en mains. Il ordonna à l'homme de présenter des excuses, et je voulus intervenir, mais il ne m'en laissa pas l'occasion. Les propos qu'il tenait auraient scandalisé plus d'une dame, mais je savais qu'il n'en aurait cure. Je voulus l'implorer de relâcher son étreinte, mais il le fit de lui-même. Seconde erreur de notre duo : le détenu, ulcéré d'avoir été maltraité sans autre raison que ma distraction, voulait en découdre avec le soldat. Il le frappa violemment à la mâchoire, et j'entendis un horrible craquement.
En quelques secondes, ils étaient une demi-douzaine à abattre leurs coups sur le soldat, recroquevillé par terre. Mon Dieu, qu'avais-je fait ? Les coups pleuvaient sur le Garde, tandis que les autres prisonniers se dressaient sur leurs bancs pour mieux observer la débâcle.

Je jetai un coup d’œil à la ronde, cherchant des gardiens, mais ceux-ci, attablés à l'autre bout de la salle, n'avaient, semblait-il, pas encore compris ce qui se tramait. Aller les avertir, c'eût été donner encore plus de temps aux agresseurs de Sir Flint, je ne pouvais par conséquent point me le permettre.
Appeler au secours, c'était prendre le risque d'attirer l'attention sur ma détresse, au risque de voir d'autres prisonniers se joindre à la bataille échevelée qui se livrait sur le sol.

Du tas de haillons émergeaient quelques visages plus féroces : visiblement, certains de ceux que je prenais pour de "pauvre hères" quelques instants auparavant tenaient plus que d'autres à brutaliser le soldat, qui ne faisait que son devoir. Je ne pouvais laisser la situation durer, mais je ne trouvai d'autre solution que de m'emparer de l'objet contondant le plus proche, à savoir une bouteille de vin, ce vin amplement coupé à l'eau qui était la seule boisson des prisonniers.
J'abattis violemment le verre sale sur la tête de la brute la plus proche, frappant de toutes mes forces, comme lorsque je devais effectuer un service au jeu de paume. J'étais particulièrement bonne à ce sport, que j'avais souvent pratiqué avec mes sœurs à Nottingham : je les battais pratiquement à chaque fois grâce à mes puissants envois.

Un liquide rougeâtre coulait sur le visage inconscient du détenu, et je priai pour que ce ne soit que de la vinasse. Je ne pensais pas m'évanouir à la vue du sang, mais mieux valait ne pas prendre de risque.

Le choc du corps sur le sol de pierre ne passa pas inaperçu, et les belligérants se relevèrent un instant, délaissant le soldat Flint. Leurs regards, pareils à ceux des loups affamés, se tournèrent vers moi dans un ensemble qui me fit frémir. Mais pas frémir de peur, non. Contrairement à toute attente, j'avais moi aussi envie d'en découdre avec ces mécréants, qui avaient blessé un homme ne faisant que son devoir. Toute pensée chrétienne s'était envolée, mon esprit était tout entier dédié au tesson de verre que je tenais en main, prête à sectionner la peau du premier qui oserait porter la main sur moi.

Non mais vraiment !

Rendez-vous à la prison

La vie nous réserve bien des surprises, parfois... Alors que ce matin au réveil, je m'étais apprêtée à vivre un jour ordinaire, un jour de plus, ma journée avait pris un tour tout à fait inattendu, et pour le moins surprenant. Partie pour mon hebdomadaire visite à la prison de la Fleet avec des paniers pleins de victuailles et ma bonne volonté de naïve idéaliste, j'avais commencé par rencontrer un soldat de la Garde Royale aux armes exotiques. Mais ce n'était qu'un début...
Après avoir rejoint le réfectoire, j'avais entrepris, comme à mon habitude, de distribuer pain et autre nourriture aux prisonniers. Distraite, j'avais mal calculé mes dons, et certains détenus s'en étaient émus. Désemparée face à leur hargne d'hommes qui n'avaient plus rien à perdre, j'étais restée coite. Mais le ton des taulards n'avait pas eu l'heur de plaire au Garde Flint, qui avait menacé le plus virulent. S'en était ensuivi un désordre sans nom, lors duquel le soldat avait été roué de coups... Jusqu'à ce que j'intervienne, sortant finalement de ma torpeur abasourdie pour abattre une bouteille de verre sur le crâne du fauteur de troubles principal.

Il avait ensuite fallu peu de temps au garde royal pour reprendre le contrôle de la situation. Des geôliers s'étaient précipités vers l'attroupement d'hommes en haillons et les avaient promptement séparés, avant de les envoyer au cachot. Morgan Flint, quant à lui, s'essuya le visage qu'il avait ensanglanté, avant de se tourner vers moi. Il posa sa main sur la mienne, et alors qu'en temps normal j'aurais bondi loin, choquée de la franchise d'un tel contact, je ne fis que frissonner. Je desserrai ma poigne de ce qu'il restait de la bouteille salvatrice et souris nerveusement à la boutade du soldat de la Reine. Il n'avait pas tout à fait tort, mais je tenais quand même à lui faire remarquer qu'il ne serait rien arrivé sans ma malheureuse distraction.

Ne me remerciez pas, c'est ma faute après tout... Quant à la Garde, j'y songerai, bien que cela ne me paraisse guère convenable pour une demoiselle !

Répondant ainsi à sa pique, je m'assis ensuite comme il me le proposait. Toutes ces émotions en si peu de temps -peur puis colère, et enfin soulagement- m'avaient quelque peu coupé les jambes. Il me suggéra également de boire, mais je savais d'avance que la piquette des prisonniers me ressortirait de manière peu gracieuse par les narines si d'aventure j'en avalais une gorgée. J'étais habituée à meilleurs crus, comme ceux de Lady Stanhope, bien souvent importés du Sud du continent. De plus, la tête me tournait suffisamment, point n'était besoin de boire.

Je ne boirai rien, je vous en remercie. Mais laissez-moi nettoyer vos plaies, il ne faudrait point qu'elles s'infectent, continuai-je en me saisissant d'un mouchoir en tissu soyeux portant mes initiales.

Cadeau de mon père pour mes seize ans, j'en portais toujours un sur moi, dans une manche ou une poche de mes robes. Je trempai celui-là dans le gobelet le plus proche : l'alcool aiderait à nettoyer, mais le faible pourcentage de celui-ci dans le breuvage permettrait également de ne point brûler les blessures du soldat Flint.

Je tamponnai délicatement mais fermement le visage du garde revêche, songeant à l'étrangeté de la situation. Moi, Catherine Holmes, héritière du riche comté de Nottingham, demoiselle occupant une position des plus enviables à la Cour de Mary Ière : voilà que j'étais occupée à pouponner un homme qui me dominait en taille, en carrure, et plus que probablement en âge !

Rendez-vous à la prison

Provisoirement transformée en nurse, je m'occupais avec délicatesse de désinfecter les contusions du soldat Flint. Étrange posture, pour une journée qui était décidément hors normes. Je commençais tout juste à apprécier mon quotidien à la Cour, au service de Lady Stanhope, fait de lectures et d'apprentissage constant de la vie de courtisane ; et me voilà, par le hasard d'une bonne action, à la prison de la Fleet River. Non en tant que détenue, bien sûr, mais comme demoiselle faisant œuvre de charité envers les pauvres hères emprisonnés ici suite à leurs dettes ou autres crimes mineurs. Même si apparemment, pauvres ne voulait pas dire inoffensifs. Preuve en était, s'il le fallait, le goulot brisé qui trônait encore sur une table du réfectoire de la prison susmentionnée. J'avais moi-même abattu la bouteille et son contenant sur la tête d'un emprisonné quelques secondes auparavant. Pour ma défense, je devais dire que celui-ci l'avait bien cherché : il était alors en train de se battre avec l'homme supposé être mon garde du corps pour cette visite, le Garde Royal Morgan Flint. Celui-ci se retrouvant en mauvaise posture, je m'étais trouvée dans l'obligation d'agir, de faire quelque chose. Et puisque la seule arme à ma disposition était une bouteille...

Et maintenant, j'étais là, assise sur un banc avec un homme dont Lady Stanhope aurait certainement désapprouvé les manières -totalement contraires à l'étiquette la plus élémentaire, il fallait le reconnaître- et nous conversions de ma potentielle entrée dans la Garde de Sa Majesté. Selon l'un de ses membres, j'étais en effet une "combattante". S'il avait su... Je n'étais pas une femme d'armes (pour peu que cela ait un jour existé, d'ailleurs) : je n'aurais jamais su tenir une épée si l'on m'en avait mis une entre les mains ! De plus, entrer au service de la Reine, ou pire encore, du Roi espagnol qu'elle s'était choisi... Plutôt mourir, merci mais non merci ! Heureusement que ceci n'était que plaisanterie...

Malgré mes dénégations, le garde avait rapproché de nous un cruche emplie d'eau. J'avais soif, je m'en aperçus soudain, et je bus sans plus attendre le verre que l'on me tendait. Le soldat aux traits durs sourit, comme amusé par mon entêtement à le soigner. Il ne devait pas être habitué à ce que quelqu'un prenne soin de lui, ou bien était-ce que quelqu'un lui désobéisse avec autant d'impudence ? Quoiqu'il en soit, je n'allais pas m'arrêter. Ces blessures devaient être nettoyées, peu importe ce qu'il en pensait ! Et je n'étais pas habituée à ce que l'on m'empêche de faire ce que je voulais, aussi n'aurait-il qu'à se plier à mes gestes.
Il était presque beau lorsqu'il souriait ainsi. Son visage buriné et brun se détendait, et j'aurais tout à fait compris que d'autres femmes puissent le trouver attirant. Il devait plaire beaucoup aux londoniennes, s'il lui arrivait de sourire ainsi en rue...

Mais le soldat me posa alors une question qui devait le tarauder depuis quelques instants. Tâchant de sourire à mon tour, je n'en restai pas moins excessivement sérieuse lorsque je lui répondis :

Oui, je continue à le croire. Comprenez bien que je ne veux pas minimiser l'agression que vous venez de subir, mais lorsqu'on voit comment vivent ces prisonniers... Ce sont leurs conditions d'enfermement qui ont fait d'eux des hommes prêts à tout pour un quignon de pain. Je reste persuadée que leur âme vaudra autant que la nôtre, au jour du Jugement Dernier, ne vous en déplaise.

J'étais inflexible, mais par-dessus tout, j'étais sincère. Je persistais à penser que, s'ils étaient aussi mal traités, le comportement des détenus ne risquait pas de s'adoucir...

Ayant terminé de nettoyer le visage du garde, je lui demandai alors qu'il ouvrait les yeux :

Mais vous-même, pourquoi ne pouvez-vous pas compatir à leur sort ?

J'avais en effet compris que le soldat Flint n'aimait guère ceux qu'il était chargé de surveiller en ce jour. Ce que je ne comprenais pas, c'était pourquoi. Que lui avaient donc fait ces hommes ?