Sujet: Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ♛ Mary Sidney Ven 27 Juin - 14:42
Londres, 22 février 1554.
Chère Lady Mary,
Je vous écrit pour prendre de vos nouvelles, ainsi que pour vous transmettre toutes mes condoléances après ce qui s'est passé voilà dix jours. Dix jours ! Parfois, j'ai l'impression que cela fait une éternité, et parfois que cela date d'hier. C'est très étrange, et assez horrible, en fait. Je m'excuse de ne pas vous avoir écrit plus tôt, mais j'espère que vous comprendrez que dernièrement, je n'ai pas eu le coeur à écrire à qui que ce soit. Je crois que l'Enfer n'est pas grand chose au regard de ce que nous vivons en ce moment, vous et moi. Ma soeur est toujours alitée, elle est constamment pâle et ne mange presque plus, je m'inquiète pour elle. Comment allez-vous, vous ? Et votre mère, vos frères et soeurs ? Je ne les connais pas tous, mais je les soutiens de tout mon coeur. Après tout, nous sommes dans le même bateau, n'est-ce pas ?
J'espère que le Kent vous apporte un peu de paix. Ici, à Whitehall, c'est tout bonnement horrible. Les gens ricanent, murmurent, c'est détestable, je crois être tombée dans une fosse aux serpents. Je le croyais déjà lors de mon arrivée à Londres il y a huit mois, mais là c'est encore pire. Croyez-vous que le monde entier est contre nous, Mary ? Moi, c'est ce que je me dis chaque fois que je met un pied hors de nos appartements. Du coup, je n'en sors plus, et Katty, ma servante Ginger et les livres qu'elle m'apporte sont les seuls compagnons de mes journées. De temps en temps, ma mère fait une apparition, mais Dieu merci, elle ne reste pas : je ne crois pas que j'aurais la force de la supporter plus de cinq minutes par jour. Avez-vous eu des nouvelles de la Cour récemment ? Si tel n'est pas le cas, je vous apprends ce que vous n'aurez pas tardé à savoir : ma chère mère est fort occupée aux préparatifs de son mariage, dix jours après la décapitation de mon père. Me croirez-vous, si je vous dit que je la hais ?
Mais assez parlé de ma mère, et de Londres. Comment est le Kent au printemps ? Dans le Suffolk, nous avions toujours des fleurs à cette saison, et des oiseaux dans les arbres. Avec Jane et Katty, nous soignions ceux qui étaient blessés. Nous en avions même gardé certains, ceux qui ne pouvaient plus voler, dans une grande cage en fer. Katty voulait les emmener à Londres, mais Mère a refusé. Je me demande si un jour, je les reverrais, nos oiseaux et le Suffolk. La dernière fois que j'y suis allée, c'était en janvier, et il y avait de la neige partout. Vous avez des fleurs, vous aussi, maintenant ? Et des oiseaux ? Fait-il beau, à Penhurst ? A Londres, il fait beau plusieurs fois par jours, tant le temps est changeant.
Bientôt aura lieu le procès de Thomas Wyatt, je ne sais si je pourrais y assister, mais j'aimerais le faire, juste pour qu'il sache qu'il est encore soutenu. J'ai peur, vous savez : entre ma mère, la Reine Mary et tous les papistes à sa solde, je me demande bien si l'Angleterre sortira un jour la tête de l'eau... Et nous avec. Je sais ma cousine Elizabeth assignée à résidence à Hatfield, en attendant le verdict du procès de Wyatt. Avez-vous de ses nouvelles ? Moi, je n'en ai pas, j'ai interdiction formelle de lui écrire, et je n'ai pas encore trouvé le moyen de le faire sans être prise en flagrant délit. Katherine vous transmet ses amitiés, et ses condoléances aussi. Saluez Sir Henry pour nous deux, ainsi que les membres de votre famille, et sachez que vous avez tout notre soutien et notre affection, je parle pour Katty et moi-même. J'espère avoir de vos nouvelles bientôt.
Affectueusement, Mary Grey.
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❝ Mary Sidney ❞
La Noblesse Anglaise
♕ Métier : Dame de la Cour, Mécène et Comploteuse. ♕ Age : 27 ans. ♕ Religion : Protestante. ♕ L'avatar a été fait par : Maquizz ♕ Mon nombre de messages est : 291 ♕ Mon nombre de Livres Sterling : 0 ♕ Je suis arrivé(e) sur TGA le : 17/03/2013 ♕ Mon pseudo web est : Menthe. ♕ Mes autres visages : Thomas Howard
Sujet: Re: Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ♛ Mary Sidney Sam 5 Juil - 22:07
Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur
Le 25 février 1554 Penshurst Place, Kent
Chère Mary,
La surprise que m’a causé l’arrivée de votre lettre n’a point égalé le plaisir que j’ai eu à sa lecture. Quel soulagement d’avoir de vos nouvelles après les tristes évènements qui ont endeuillé nos deux familles ! Si les prières m’ont parfois aidé à surmonter ma peine—prières où figuraient également votre sœur et votre père, paix à leurs âmes—il m’est tout aussi réconfortant de prendre à nouveau ma plume pour vous répondre.
En dépit de sa peine et de la douleur que la vue de la Tour lui provoque, ma mère a préféré rester à Londres pour pleurer son dernier né. Malgré mes invitations répétées, elle refuse de quitter la ville et si je n’avais point placé auprès d’elle une servante de confiance, je crois bien que j’aurais supplié mon époux de me permettre de rester auprès d’elle, tant elle faisait peine à voir. La mort de Guildford—ô comme il m’est douloureux d’écrire son nom !—l’a profondément affectée mais je suis soulagée d’avoir appris par une missive reçue ce matin qu’elle se remet peu à peu. Je n’ai en revanche aucune nouvelle de mes frères depuis mon départ de Londres et l’abattement dans lequel je les ai quittés ce jour-là ne me laisse présager rien de bon. L’état de votre sœur Katherine est tout aussi inquiétant et mériterait sans doute qu’un physicien vienne la visiter. Même si la plupart d’entre eux ne sont que des charlatans plus empressés de vous vendre leur dernier élixir de longue vie, je suis sûre que votre mère parviendrait à dénicher quelque savant, véritable connaisseur de l’Homme et de ses tourments. Soyez assurée que j’accompagnerai de tout mon cœur votre sœur dans mes prières.
Vous me parlez des serpents de la cour et je ne peux que tristement reconnaître les sournoiseries dont ma famille est elle aussi victime. Même ici, à Penshurst, il me semble parfois entendre le bruit du mauvais pamphlet que l’on glisse sous notre porte. Et lorsque je tourne brusquement la tête, je réalise qu’il ne s’agissait que du vent. Henry n’est guère porté par ces étranges objets de l’imagination, tout entier qu’il est à la douleur de la mort de son père. Sir William s’est en effet éteint deux jours avant la perte de nos chers disparus et par la faute du mauvais temps, le messager censé apporter la nouvelle de son agonie n’a pu se mettre en route que tardivement, et au lieu de nous enjoindre à rentrer dans le Kent pour entendre les derniers mots de Sir William, il nous a tristement annoncé son décès.
Notre maisonnée s’est parée de noir depuis notre retour. Officiellement, nous portons le deuil de Sir William et si je mesure la peine immense de mon époux, j’avoue néanmoins songer que ce deuil s’étend aussi à Guildford et à mon très cher père, des morts qu’à Londres il ne m’était point permis de pleurer. Il est parfois presque ironique de songer qu’au milieu de toute cette tristesse, Penshurst ne puisse s’empêcher de rayonner. Le domaine n’a point encore revêtu ses jolies couleurs du printemps, pourtant je respire avec bonheur chaque jour l’air frais de ses jardins. Les oiseaux se font rares et les fleurs de nos parterres ne sont pas écloses, mais je rêverais de pouvoir vous faire profiter de ce sentiment de paix et de calme que ce lieu m’inspire ! Je sens bien que l’enfermement de Londres vous pèse, d’autant que vous êtes entourée de charognards sans vergogne. Heureusement, vous n’êtes point sans livres ! Je gage que vous préfèreriez pouvoir courir dans les jardins de votre domaine du Suffolk, mais rappelez vous aussi que l’enseignement trouvé dans vos ouvrages vous sera tout aussi utile par la suite. A défaut de faire passer le temps, la lecture vous aidera à élever votre esprit et vous dotera de connaissances que peu de femmes possèdent en ce siècle. Mon frère John rirait sûrement de moi, mais je suis sûre que la force des mots égale—si elle ne surpasse pas—celle de l’épée.
Ne blâmez point votre mère pour ce mariage hâtif. Il est vrai que convoler en de nouvelles noces si peu de temps après la mort de votre père peut amener à croire qu’elle ne donne qu’une importance minime à cette si grande perte. Mais souvenez-vous que la place que l’on accorde aujourd’hui aux femmes est moindre comparée à celle des hommes, et il me semble qu’en agissant ainsi votre mère cherche à vous protéger, Katherine et vous, du dénuement dans lequel vous vous trouveriez si la fortune de votre mère venait à lui être retirée par quelque parent éloigné réclamant un héritage qu’une veuve ne pourrait défendre. Combien de fois une femme aura-t-elle été spoliée par un ‘héritier’ soi-disant plus méritant sous le seul prétexte qu’il était né Adam et elle Eve ? Je ne me permettrais point de spéculer sur les agissements de votre mère, mais je puis néanmoins vous assurer que l’Angleterre n’oubliera point votre père, l’homme qui aura eu le courage de se dresser contre la tyrannie papiste.
Savoir la princesse Elizabeth à Hatfield est une surprise bien amère que vous m’apprenez là. Je veux bien croire que la reine l’aura entourée de dames de compagnie austères et fourbes, fourrant leur nez dans les affaires et les lettres de votre cousine comme elles le plongent dans leurs volumes papistes. Hélas, si même vos lettres ne parviennent à joindre la princesse—qui est pourtant votre parente—je crains fort que les miennes ne franchissent les portes du domaine. Henry serait peut-être plus chanceux que nous, puisque deux de ses sœurs sont en faveur auprès de la reine Mary, mais il est pour l’instant trop affligé par la perte de son père et je n’ose venir ainsi interrompre son chagrin et son deuil.
Que Dieu veille sur la princesse Elizabeth !
Affectueusement, Mary Sidney
Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ♛ Mary Sidney