Bon nombres de nobles arpentait la salle du trône en ce jour en l'absence du roi et de la reine. Un serviteur espagnol m'avait informé que le roi désirait me voir dans l'après-midi. J'avais accepté, que pouvais-je faire d'autres ? Il était trop tard pour reculer, et malgré le danger, la présence de Philippe m'était agréable.

Je demeurais seule, dans mon coin. Depuis que le roi s'intéressait à moi, il me semblait que certains espagnols n'osait plus me parler trop longtemps. Comme j'étais propriété chasse gardée du roi. Cela ne rimait à rien car le roi était fidèle, et rien ne s'était jamais passé entre nous qui aurait pu être considéré comme déplacé. Le pire était que ce comportement des espagnols ne faisait qu'alimenter davantage les ragots. Et je craignais que la reine Mary finisse pas s'apercevoir de quelque chose.

Dans mes pensées, le regard parcourant l'extérieur à travers l'une des fenêtres de la salle, je n'avais pas entendu la soeur du roi s'approchait de moi.
"Lady Tyburn, quelle surprise !", me lança-t-elle. Elle paraissait heureuse de me voir, mais je ne savais pas si elle l'était sincérement. Je n'avais jamais eu l'occasion de m'adresser à Jeanne, qui ne pouvait ignorer ma relation avec son frère. Je ne la connaissais que par ce que Philippe m'en avait dit, et proche de sa soeur, il ne m'en avait dit que du bien mais j'ignorais l'opinion de celle-ci sur ma personne. A la cour, il fallait toujours se méfier des salutations trop enthousiastes.

« Princesse. », la saluais-je à ma tour, avec respect. « Veuillez me pardonner ma distraction, j'étais plongée dans mes pensées. C'est un plaisir pour moi d'avoir enfin l'occasion de vous rencontrer. », lui dis-je.

Assez vite, je me rendis compte que la soeur du roi m'était hostile. Sa façon de m'annoncer qu'elle avait beaucoup entendu parler de moi sonnait comme un reproche. Sans doute pensait-elle que j'étais la maîtresse de son frère. C'était mal le connaître...Je savais bien que le roi m'appréciait plus que de coutume, mais il ne m'avait jamais fait aucune avances, et nos conversations ne dépassaient jamais la limite des convenances. Philippe était trop catholique pour se montrer infidèle. Et je pouvais en remercier Dieu, car sinon, je me serais retrouvée dans une position encore plus délicate que celle dans laquelle je me trouvais actuellement.

"Disons que vous semblez bien connaitre mon frère le Roi Philippe.", ajouta finalement Jeanne de Habsbourg.

J'avais tout de suite compris, lorsqu'elle était arrivée à moi, que son frère serait le sujet de notre conversation, évidemment. Sinon, que pouvais je représenter d'autres comme intérêt, aussi insignifiante que j'étais, pour la princesse d'Espagne ? J'enviais Jeanne de Habsbourg. Si j'étais née avec des titres comme les siens, j'aurais eu le monde entre mes mains. Et sans doute Philippe comme mari.

« Le roi apprécie discuter avec moi, je crois. », répondis je. « Il y a plusieurs mois, il m'a demandé de servir de modèle pour un tableau qu'il désirait faire réaliser par son peintre. Depuis, nous discutons de temps à autre. », expliquais je.

Je n'étais pas idiote. J'avais remarqué la manière dont Philippe me regardait. Oh, il n'y avait rien de déplacé, mais cela se lissait dans son regard qu'il me trouvait belle. Sans quoi de toute évidence, il ne m'aurait pas demandé d'être modèle pour son tableau. J'avais aussi remarqué sa curiosité. Lui qu'on disait peu bavard, n'avait eu de cesse de me poser des questions. Il s'était même confié sur le sujet sensible de son fils. Il montrait de l’intérêt pour ce que je lui disais, et riait plus avec moi que je l'avais vu faire avec la plupart des gens de la cour. Cela ne laissait guère de doute sur le fait qu'il m'appréciait beaucoup. Mais cela ne dépassait pas les convenances, et alors que la voix froide de la princesse d'Espagne ne laissait aucun doute sur le fait que mon amitié avec son frère lui déplaisait, je me demandais sincèrement si elle n'imaginait pas que les choses allaient plus loin qu'elles ne le devraient entre nous. Elle ne me laissa guère de suspense cela dit, et posa la fameuse question qui voulait tout dire.

«  "Dites moi, chère comtesse, êtes-vous mariée ?" »

Je ne pensais pas que la princesse irait si vite au coeur du sujet. Les gens avaient tendance à tourner autour du pot, à Whitehall, ornant leur paroles de belles hypocrisies.

« Veuve et mère d'un garçon », dis je après un temps de silence tout de même, car la question m'avait surpris. «  Sa majesté le roi me parle beaucoup de l'Espagne, et j'apprécie l'écouter. C'est un grand honneur pour moi, évidemment, de converser avec lui. Mais vous pouvez être rassurée, il ne se passe rien d'inconvenant entre le roi et moi-même, si c'est ce qui vous inquiète. »

La princesse d'Espagne avait pris un ton plus calme pour me répondre. Elle avait du percevoir mon inquiétude.
Elle me mit en garde, disant parler pour mon propre bien et annonça que malheureusement, on ne pouvait rien faire au fait que son frère n'était pas heureux.

Je soupirais doucement. Je savais qu'elle avait raison. Les rumeurs se propageaient vite. Mais que pouvais je faire ? Refuser de voir le roi ? Non, cela le vexerait, et je ne voulais surtout pas cela. De plus, les choses étaient déjà allée trop loin. J'avais besoin de sa protection. Sans compter que, de toute évidence, je n'avais pas envie de cesser mes entrevues avec Philippe.

« Je vous entend bien, princesse.Je sais qu'à Londres, les mauvaises langues sont nombreuses...Mais votre frère m'a assuré que je disposais de sa protection et m'a demandé de lui faire confiance. Je lui ai donné ma parole...Vous savez, je ne veux aucunement attirer des problèmes à sa majesté, ou voir des rumeurs salir sa réputation. J'ai bien conscience qu'il est marié à la reine, et que même s'il n'est pas heureux avec elle, les choses sont ce qu'elles sont...Mais je lui apporte un peu de joie, sans transgresser aucune règle. Que feriez vous à ma place ? Votre frère m'a assuré que je ne courais aucun danger et j

e lui ai promis de lui faire confiance... », expliquais-je.

En tant que princesse d'Espagne, Jeanne de Habsbourg devait savoir quoi faire à ma place. Je ne disais pas que je suivrais forcément son conseil, mais selon ce qu'elle me dirait, je pourrais voir si j'étais véritablement en danger ou si la protection de Philippe était bien réelle. Cela dit, j'étais inquiéte...Philippe ne parlait que d'Espagne...Le jour où l'Empereur mourrait, il était presque certain que Philippe retournait à Madrid.

Je m'étais attendue à ce que Jeanne de Habsbourg me fasse part d'un conseil, que je n'aurais bien sûr pas respecté s'il ne me convenais pas. Mais lui demander ce qu'elle aurait fait à ma place était une manière plus simple de comprendre ce qu'elle attendait de moi, et la politesse, du moins je l'avais imaginé, aurait voulu qu'elle réponde à ma question. A la place, la princesse d'Espagne n'avait aucun scrupule à me rappeler froidement qu'elle n'était justement pas à ma place. Qui étais je à côté de Jeanne de Habsbourg ? Rien du tout. En cet instant, je me mis à regretter que Philippe n'était pas aussi têtu et effronté qu'Henry VIII le fut. Si cela avait été le cas, je serais devenue l'Ann Boleyn espagnole à la différence que j'aurais été assez intelligente que pour ne pas finir la tête tranchée. A ce moment là, j'aurais pu remettre la princesse d'Espagne à sa place. J'aurais pu remettre tout le monde à sa place, excepté Philippe.

« Certes. », répondis-je. « Et bien, je ne peux que vous dire d'aller en parler avec lui, dans ce cas. », ajoutais je avec un sourire courtois ( et hypocrite, en vérité ). Le fait que Jeanne de Habsbourg aie eu l'audace de me rappeler que j'étais insignifiante comparé à elle me donnait envie d'aller là, maintenant, passer du temps avec Philippe de sorte qu'à ce coup, sous l'influence de mon charme, il refuse d'écouter sa soeur qui lui conseillerait sans doute de s'éloigner de moi. Mais c'était jouer à un jeu dangereux que de se mettre une princesse à dos. Et puis, je n'avais pas besoin de dire quoi que ce soit à Philippe...Je savais que malgré tout l'affection qu'il pouvait porter à sa soeur, il ne cesserait pas de me voir. Cela contentait secrètement ma fierté blessée. Je n'étais peut-être rien comparé à la princesse, il n'empêche que le roi tenait à moi...

La princesse espagnole n'avait pas du tout l'air ravie d'entendre ce que je lui avais répondu. Que pouvais je dire d'autre au fait qu'elle devait en parler avec son frère ? Je ne pouvais que l'encourager à le faire, mais il semblait qu'elle avait pris mes dires pour une sorte de défi ou de menace.

« Princesse, je n'ai jamais tenté de m'approcher de votre famille. C'est le roi lui même qui m'a demandé à ses côtés. Je n'essaie aucunement de faire partie de votre famille, je ne peux y prétendre et je le sais très bien », tentais je de la rassurer. Je n'avais pas envie de me mettre la princesse d'Espagne à dos, mais il était peut etre déjà trop tard.

"J'en ai assez entendu. Sachez que vous nuisez à notre réputation », dit-elle, en colère.

« Ce n'est pas mon intention, vous m'en voyez donc désolée. », répondis je. La façon dont nous avions pris congés me faisait un peu peur mais j'avais confiance en Philippe sur ce point ; je savais qu'il saurait rassurer sa soeur sur mes intentions et que, même si elle ne m'apprécierait sans doute jamais, il s'arrangerait pour qu'elle ne me nuise pas. Il avait confiance en moi, et ma compagnie était une des choses à laquelle il tenait le plus en Angleterre. J'avais la prétention, et à juste titre sans doute, de croire, secrètement, que nos discussions seraient une des rares chose qui lui manqueraient en Angleterre quand il aurait à retourner pour l'une ou l'autre raison en Espagne. Cela dit, j'ignorais encore que ce départ vers l'Espagne ne tarderait guère.