Cela faisait plusieurs jours que Duncan étaient d’humeur massacrante. Pour être tout à fait exacte, il était souvent grognon, mais depuis que la cour d’Ecosse avait rejoint l’Angleterre pour assister au couronnement de Marie Tudor, il était particulièrement revêche. Il aimait déjà peu fréquenter des étrangers sur le sol écossais, mais devenir lui-même l’étranger dans un royaume voisin ne le remplissait pas vraiment de joie. Il se montrait plutôt insensible au faste déployé pour le couronnement de la future reine, s’ennuyant de tout. Cela faisait de lui un compagnon peu bavard, plutôt mal luné et parfois extrêmement retors.

Le jour du couronnement fut encore pire que les précédents, Duncan se réveilla avec l’impression désagréable qu’il allait devoir supporter une journée de démonstration de décadence, de la part de la future reine d’Angleterre mais aussi de la part de la cour d’Ecosse qui allait rivaliser de grandeur pour montrer à leur future voisine qu’elle n’avait pas affaire à de faibles voisins. Il renvoya d’un geste sec les domestiques qui auraient dû l’aider à s’habiller en grommelant du gaélique qui semblait peu aimable. Il estimait être parfaitement capable de s’habiller seul, couronnement ou non. Il avait fait l’effort d’apporter une tenue plus apprêtée que les autres, mais il refusait catégoriquement de se vêtir autrement qu’en kilt écossais.

Il passa donc un costume traditionnel d’apparat, composé d’une large chemise blanche, d’une courte veste croisée brodé des fils précieux de couleurs sombres et d’un kilt neuf. Il passa autour de sa taille son sporran et prit une épingle particulièrement ouvragée pour faire tenir l’ensemble. Avec beaucoup de soin, il jeta par-dessus son épaule son plaid, cette étoffe de laine au couleur du tartan de son clan que tout écossais transportait avec lui et le fixa à l’aide d’une broche qui avait appartenu à son grand-père. Il finit son habillement en glissant son sgian dubh, la petite dague traditionnelle écossaise dans sa guêtre gauche et son poignard dans le fourreau accroché à la ceinture. Les siens étaient ouvragés, avec une garde ciselé et réhaussé de pierres précieuses sombres, montrant sa place dans le clan. Il rappela une domestique pour qu’elle fixe la toque sur sa tête mais refusa catégoriquement qu’on y ajoute une plume sombre pour l’ornementer en ce jour si particulier.

En rejoignant ces compatriotes avant le départ pour l’abbaye de Westminster, il constata avec dédain que certains avaient opté pour un habillement plus anglais qu’écossais. Sa journée fut quelque peu égayée lorsqu’il aperçut au loin quelques-unes de ses connaissances à la cour, mais il n’eut pas l’occasion de les saluer. Arrivé à Westminster, il se plaça tout au fond de l’abbaye, à l’écart des autres nobles, peu désireux de suivre le couronnement. Il s’apprétait à mourire d’ennui, lorsqu’une voix timide le sortit de ses pérégrinations. « Puis-je me permettre de rester assise prêt de vous ? »

Il devisagea rapidement la jeune fille qui s’était installé à ses côté, un air surpris prenant place sur son visage bougon. Il hocha la tête de manière assez austère, sans prononcer un mot, pas soucieux de l’étiquette. « Je suis Henriette Cavendish, fille du duc de Devonshire. » . Ce nom-là lui disait vaguement quelque chose bien qu’il fut peu au fait de la noblesse anglaise. Il hocha à nouveau la tête et décida de faire un effort de sociabilité pour ne pas effrayer cette pauvre innocente qui s’était malencontreusement assise à côté du plus mauvais compagnon qu’on pouvait avoir pendant cette journée censée être festive.« Lord Donald Duncan, héritier du clan Donald » . Il doutait que cela lui fut familier, n’étant pas écossaise, mais dans un ultime effort de gentillesse, il lui fit un drôle de sourire un peu crispé.

Il s’attendait à pouvoir somnoler discrètement pendant la cérémonie, ou du moins à pouvoir entrer dans un examen minutieux de l’architecture monumentale de Westminster Abbey. Etre placé au fond de l’abbaye présentait sans aucun doute de nombreux avantages à ses yeux. Mais ces projets furent contrecarrés par cette étrange petite lady anglaise. Lorsqu’elle l’interrogea sur ses motivations à assister au couronnement, il lui jeta un regard surpris et interloqué, délaissant la moue impassible et boudeuse qu’il avait adopté depuis l’arrivée de la Cour écossaise en Angleterre.

Il prit soin de réfléchir à sa réponse puis lui chuchota d’un air impassible les yeux rivés droit devant lui. « Il s’agit du couronnement de votre reine, pas la mienne. » Son explication s’accompagna d’un haussement d’épaules qui illustrait à quel point le couronnement de Marie Tudor lui importait peu. La cérémonie commença et Duncan sentit l’ennui le gagnait. Il s’adossa quelque peu au dossier du banc et son regard se perdit dans le vide. Il songeait à sa famille, aux terres escarpées écossaises, à ses sœurs qui auraient peut-être aimées assister à un couronnement, à un de ses frères qui avait un esprit voyageur et aurait voulu se rendre en Angleterre et sur le continent. De temps à autre son regard accroché une parure flamboyante et il s’interrogeait sur les dépenses qu’avaient fait tous ses individus pour paraitre au meilleur de leur forme ce jour-là.

Le soupir qui échappa à Henriette Cavendish arracha un sourire amusé à son voisin d’infortune. Il tourna la tête vers elle avec une lueur amusée dans le regard. Il balaya les excuses d’un geste de la main et murmura avec discrétion « Ne vous excusez pas, vos jeunes années vous pardonne. Avec le temps vous apprendrez à mourir d’ennui en toute discrétion, la vie de cour l’exige. ». Il détestait cette vie de cour monotone et ce n’était pas un secret à Edimbourg.

« Essayez de fixer votre attention sur un sujet qui vous occuperez. Regardez cette lady, là-bas. » Il lui désigna avec discrétion une femme dont la toilette cachait sans doute la scène du couronnement à ses voisins. « Croyez-vous que ses voisins puisse profiter du couronnement ? Je suis prêt à parier qu’elle a dépensé une grande partie de son revenu annuel pour l’occasion. » Il capta un regard de reproche à leur gauche, leur chuchotement devait sans doute importuner de trop zélés voisins. Il renvoya au râleur un regard froid et dénué de repentance.